De
1999 à 2004, Michel Moutot a été le correspondant de l'Agence
France Presse, à New-York. En tant que journaliste, il a été amené
à couvrir l'attentat du 11 septembre 2001. L'occasion de découvrir
l'histoire d'une tribu Mohawk qui, depuis 1886, construit
et déconstruit des gratte-ciels. Après l'effondrement des "Twin Towers", ces Indiens
ont été sollicités pour en découper les structures métalliques
au chalumeau. Car, à New-York, impossible d'embaucher
d'autres personnes pour faire ce travail que ces Mohawks (Mohicans). Nous avons rencontré Michel Moutot, qui s'est inspiré de cette histoire pour écrire son roman "Ciel d'Acier" (éditions Arléa et Points).
Comment
est née la tradition de ces "ironworkers" ?
En discutant avec certains d'entre eux, j'ai
appris qu'il s'agissait d'une tradition familiale, depuis six
générations. Depuis qu'un jour de 1886, des Montréalais sont venus
dans leur réserve, située à la sortie de Montréal (Québec) et
leur ont demandé l'autorisation de construire un pont sur le fleuve
Saint-Laurent. En échange de cette autorisation, les Mohawks ont
demandé à ce que certains jeunes de la tribu soient embauchés
comme "bridgemen" (hommes de pont). Ils ont commencé à
faire ce travail, l'ont aimé et se sont avérés très bon, car ils
travaillaient très vite. C'est le seul exemple d'une tribu
amérindienne ayant réussi à trouver volontairement sa place dans
le monde des Blancs. Monde qui leur a été imposé et dans lequel
ils ont été décimés par les maladies et massacrés dans les
guerres. Eux, ils ont choisi ce métier et ils continuent à le faire
encore aujourd'hui.
Quelles
aptitudes particulières fallait-il avoir à l'époque pour faire ce
métier ?
Avant
l'arrivée des Blancs, les Mohawks construisaient ce qu'ils
appelaient de longues maisons, des cabanes
impressionnantes sur deux étages. C'était donc déjà un peuple de
charpentiers. Cela n'était pas difficile de passer de charpentier du bois à charpentier du
fer. A partir de là est née cette
fameuse légende - qui demeure une légende - comme quoi les Mohawks
n'ont pas le vertige, alors qu'ils l'ont comme vous et moi. L'un des
Indiens à qui j'ai posé la question m'a répondu : ceux qui
ont le vertige chez nous, ils font un autre job, comme n'importe
quelle autre communauté aux Etats-Unis.
Où
se forment ces travailleurs du ciel ?
Dans
des écoles, notamment, l'une d'entre elles implantée dans l'Idaho
et réservée au Amérindiens. Si vous avez 16-17 ans, faites
partie de la tribu des Mohawks, on va vous prendre et voir ce que
vous valez. Si vous n'êtes pas assez bon, le premier jour à midi,
vous partez, sinon, on vous garde.
Le
travail de ces "ironworkers" est-il dangereux ?
Les
Mohawks sont fiers de faire ce travail, car très technique et dangereux, rémunéré 100
dollars de l'heure, soit l'équivalent d'un salaire mensuel de 8 à
10 000 dollars, soit le mieux payé
des Etats-Unis. Ces Indiens marchent sur des poutrelles métalliques
de 30 centimètres de large, desquelles ils peuvent chuter de deux
étages et se casser les genoux ou les chevilles. Ne pouvant pas être
arnachés à une poutre, car il leur faut pouvoir bouger, leur « sangle
de vie » étant longue de 8 à 10 mètres, ils chutent de cette hauteur. Pas un
seul des anciens que j'ai rencontrés dans la réserve ne marche sans une canne, car leurs membres sont brisés en plusieurs endroits. Jusqu'au début des années 1990, il n'étaient équipés d'aucune sangle et tombaient tout en
bas de l'immeuble.
Donc,
vous avez écrit un roman, à partir de ce fond historique…
Toute
la trame historique de mon roman est absolument vérifiée. J'ai
seulement inventé des personnages romanesques : deux familles
que l'on découvre en 1886 et que l'on retrouve, six générations
plus tard, en 2012, au moment de la reconstruction de ce qu'on a
appelé la "Liberty Tower", qui remplace l'ancien World
Trade Center. Mon idée de départ, c'est qu'au
moment du 11 septembre 2001, l'un de ces "ironworkers" recherche dans les décombres des "Twin
Towers", une trace laissée par son père, qui a construit ces
tours. Donc, mon héros cherche, à la fois, à sauver des
survivants, mais également le témoignage de son père. C'est aussi
une sorte de quête personnelle.
Votre
prochain roman se déroulera-t-il également aux Etats-Unis
?
Oui,
il va s'appeler « Sequoia »
et sera publié au printemps 2018. C'est l'histoire de trois
frères, chasseurs de baleines de Nantucket, une petite île au
large de Boston, les mêmes que ceux de Moby Dick, qui, en 1849,
après six mois de traversée via le Cap Horn, vont chercher
de l'or en Californie, après avoir abandonné leur navire dans la
baie de San Francisco. A cette époque, les
marins partis chercher de l'or dans les montagnes abandonnaient leurs bateaux, au point que s'était constituée une véritable "forêt
de mâts". Moins d'un prospecteur sur
dix en a réellement trouvé, mais ils ont bâti la Californie.
Parmi ces "Forty-Niners",
il y avait des français. C'est pourquoi mon roman débute à Paris
et dans le Nord de la France. Cette ruée vers l'or a été le
premier évènement mondial de l'histoire de l'humanité. Il a attiré
des gens de toute la planète, durant deux à trois ans, dans une
Californie qui n'était alors plus la propriété du Mexique et pas encore
celle des Etats-Unis.
Propos et photo recueillis par Herve CIRET
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