Quel a été le rôle des indiens dans les westerns américains ? Mathieu Lacoue-Labarthe, historien et
auteur d'un livre sur le sujet, a répondu à cette question, dans le cadre des conférences du salon de lecture du musée du quai Branly, à Paris, organisées à l’occasion de l’exposition
« Les indiens des plaines ».
Mathieu Lacoue-Labarthe |
La représentation des
indiens dans le western américain, seul genre cinématographique où ils sont
présents aux débuts du cinéma, varie beaucoup selon les périodes. "Des années 30
à 50, cette représentation est très négative et stéréotypée. Elle est moins
négative au milieu des années 50, tout en restant stéréotypée", constate l'historien. Si à cette
époque certains intellectuels français commencent à s’intéresser aux maîtres
américains du western, aux Etats-Unis, c’est un genre totalement méprisé des
élites sociales et culturelles. "Il n’a du succès que dans les villes du
Middle-West et dans les salles de banlieues, mais pas dans les cinémas les plus
prestigieux. Et quand un metteur-en-scène pourtant célèbre comme John Ford réalise
« La Prisonnière du désert »
(1956) ou « Les Cheyennes »
en 1964, qui évoquent la condition des indiens, la presse américaine en parle comme
de westerns tout à fait marginaux."
Sur un échantillon de 600 westerns
tournés entre 1930 et 2005, l'historien a remarqué que, pour la période des années 1930 à 1940, les indiens
y sont moins représentés que durant le cinéma muet, entre 1900 et 1930. "Cela est dû à la baisse de fréquentation des salles de cinéma, du
fait de la crise économique de 1929 et de la grande dépression qui a suivi ", explique
Mathieu Lacoue-Labarthe. Pour l’endiguer, les salles diffusent deux films. L'un de série A, l'autre de série B. Ce
dernier, d’une durée d’une heure, est tourné en 3 semaines avec un petit budget.
Entre 1930/1940, les westerns étant des échecs financiers, 95% d‘entre eux sont
des films de série B. "D’où des scénarios très stéréotypés, avec une attaque,
une course-poursuite à cheval, un épisode dans une mine. Des scènes qu’il
suffit d’intervertir pour donner l’illusion qu’il s’agit d’un autre film."
Des raisons qui expliquent que les
indiens sont très peu présents dans ces westerns. Car, représenter l'indien a un coût. "Il faut embaucher des centaines de figurants et tourner en extérieur,
dans des endroits où il est difficile de déplacer le matériel. Donc, à ce
jeu-là, les indiens sont perdants et ils vont apparaître le moins possible dans
les westerns de série B." A cela s'ajoute le fait que la majorité des
américains les méprisent et que dans les années 1930, la disparition des indiens
est annoncée depuis déjà un siècle. Donc, pourquoi entretenir leur
image dans les westerns ? "De plus, les personnages de "méchants" se
partagent le plus souvent entre des hommes d’actions habiles au tir, comme un shérif,
même corrompu, souvent de mèche avec un homme d'affaires. Des acteurs qui coûtent
beaucoup moins chers à fournir que des indiens." Ce qui explique, selon l'historien, qu'à cette époque, l’industrie
du cinéma ne consacre que très peu de place aux indiens.
Il faut attendre 1939 et la seconde guerre mondiale, pour
voir les indiens revenir en masse dans les westerns. Mais, hélas pour s'y substituer aux ennemis des Etats-Unis, les Allemands et les Japonais. "Une substitution qui va continuer dans les années 50, à l’époque
du Maccarthysme et de la chasse aux communistes, aux rouges, donc aux
Peaux-Rouges. Leurs costumes arborant la couleur rouge, comme dans
« La charge héroïque » de
John Ford en 1949." A partir du début des années
50, deux films commencent à faire changer les choses : « La flèche brisée » de Delmer Daves,
avec l’acteur américain Jeff Chandler en chef indien, qui bien que montrant un
stéréotype, présente l’indien de manière positive. « La porte du diable » d’Anthony Mann, plus dramatique et plus
pro-indien que le précédent, même si le personnage du chef indien est joué par
un acteur blanc, Robert Taylor. "Mais, à cette époque, sont principalement tournés de nombreux
westerns « militaires », où la cavalerie de
l’armée des Etats-Unis qui prend systématiquement le dessus sur les "affreux" indiens", précise Mathieu Lacoue-Labarthe.
Fort Apache |
A partir du milieu des
années 50, les choses s’inversent, car les indiens ont
participé aux combats de la seconde guerre mondiale. Notamment, en tant que
soldats codeurs en langue Comanche et Navajo des messages de l’armée américaine,
lors du débarquement en Normandie et de la guerre du Pacifique. "La lutte contre la ségrégation raciale à l’encontre des Noirs, ainsi
que le « G.I. Bill » qui permet à tout soldat de poursuivre des
études à son retour de la guerre font prendre conscience aux blancs américains
de la situation faite aux indiens." Au début des années 70, il s’ensuit des actions symboliques de
l’American Indian Movement (AIM), à la prison d’Alcatraz et à Wounded Knee, lieu du massacre de 300 indiens Sioux Lakota par l’armée américaine en 1890. "Certains
d’entre eux feront le lien entre leur situation et celle du peuple vietnamien. L’armée américaine étant à cette époque impliquée dans la guerre du Vietnam." Ce
qui amènera les américains à une nouvelle prise de conscience sur leur attitude
vis-à-vis des indiens. "Et à l’inverse des premiers westerns, ceux tournés dans
les années 70, comme « Soldat Bleu » ou « Little
Big man », sont prétexte à un réquisitoire contre la politique américaine à l'encontre des indiens."
Si dans les années 1930,
Sioux, Cheyennes, Comanches étaient les tribus les plus négatives, dans
les années 70, elles deviennent les tribus les plus positives. Car, elles sont désormais l’instrument
de dénonciation de la politique du gouvernement américain. A contrario, les
Pawnees et les Crows deviennent les "méchants" indiens, comme dans « Danse avec les loups », car ils ont autrefois collaboré avec le
gouvernement américain.
"Enfin, les indiens sont représentés comme les premiers
écologistes, en rapport harmonieux avec la nature, en se confondant avec elle", poursuit Mathieu Lacoue-Labarthe. "La
société américaine s’étant entre temps urbanisée, les indiens deviennent des
modèles de vie dans un monde idéal."
Le fait que les indiens ont été longtemps cantonnés au genre western les a enfermés dans un "ghetto" cinématographique. "Le fait qu’ils soient sortis du western, à partir des années 70", conclut l'historien, "témoigne du fait qu’ils se libèrent enfin de ce ghetto et sont enfin perçus comme des êtres ayant un début d’identité et non plus comme de simples accessoires de cinéma, comme ils l’étaient jusqu’ici."
"Les indiens dans le western américain" -Mathieu Lacoue-Labarthe - Presses universitaires Paris-Sorbonne
Le fait que les indiens ont été longtemps cantonnés au genre western les a enfermés dans un "ghetto" cinématographique. "Le fait qu’ils soient sortis du western, à partir des années 70", conclut l'historien, "témoigne du fait qu’ils se libèrent enfin de ce ghetto et sont enfin perçus comme des êtres ayant un début d’identité et non plus comme de simples accessoires de cinéma, comme ils l’étaient jusqu’ici."
"Les indiens dans le western américain" -Mathieu Lacoue-Labarthe - Presses universitaires Paris-Sorbonne
Herve CIRET
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