mardi 21 juin 2022

Quand un amour ardent vous pousse à tout risquer

 

Professeure de littérature à l’Université de Stanford (Californie), mais originaire du Kansas, Shannon Pufahl nous livre ici son premier roman. L'action de celui-ci se déroule dans l’Amérique des années 1950 et décrit les destins parallèles d'un homme et d'une femme prêts à briser le carcan des conventions de l'époque. A l'étroit dans sa vie d'épouse modèle, l'héroïne s'émancipe dans l'univers des courses hippiques, où elle découvre un désir aussi inattendu qu'interdit par la morale. Son beau-frère, vétéran de la guerre de Corée et contrôleur dans un casino, part à la poursuite d'un tricheur dont il tombe, lui aussi, amoureux. Les deux protagonistes choisissent de tout risquer par amour. Nous avons rencontré l'auteure, lors de son passage au festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo (Bretagne).

Pourquoi situer l'action de votre roman dans les années 1950 ? 

Je voulais saisir cette période si particulière, avant l'émergence de l'Amérique telle qu'on la connaît aujourd'hui, avec ses grandes métropoles modernes et une urbanisation galopante, quand l'Ouest américain disposait encore de grandes étendues sauvages et préfigurait les années de révolution des années 1960, au coeur des problématiques des personnages de mon roman.

Pour quelles raisons vos héros évoluent-ils dans l'univers du jeu ?

J'ai choisi les courses de chevaux et le monde du jeu, car ce sont des univers particuliers, mais peu souvent abordés dans la littérature, que j'ai souhaité utiliser comme une métaphore. Car, ils illustrent aussi la façon dont les personnages mettent leur vie en jeu, sans savoir vraiment ce qu'il adviendra d'eux ensuite. Comme un plongeon dans le vide. Et cela me semblait aussi une belle allégorie des risques que l'on prend en aimant, sans savoir si l'on sera nécessairement payé de retour. Car, dans la vie, nous sommes souvent confrontés à nous remettre en question, sans savoir à l'avance, si l'on perdra ou pas au change.

Pourquoi avoir choisi d'évoquer la guerre de Corée ?

C'est parce qu'aux Etats-Unis, c'est une guerre largement oubliée, alors qu'elle préfigure, sur le plan international, les conflits coloniaux majeurs de la seconde moitié du 20e siècle, tel celui a agité le Vietnam. C'est à tort, qu'on a relégué la guerre de Corée dans la mémoire collective américaine. Pour moi, c'était très important qu'un des deux héros de mon roman se dise fier d'avoir risqué de donner sa vie pour sa patrie. C'est une façon pour la nation de lui témoigner sa reconnaissance et pour le héros de montrer une autre facette de sa personnalité, par ailleurs très critiquée.

Le personnage de votre héroïne semble inspiré par votre grand-mère ?

Tout à fait, même si elle appartenait à la précédente génération que celle de mon héroïne. Mais, ma grand-mère s'interrogeait déjà sur sa sexualité, sur la place des femmes dans la société et leurs droits, comme si elle était déjà en avance sur son époque. Et je souhaitais que mon héroïne ait, elle aussi, l'audace de dépasser les normes de son époque, de s'interroger sur la manière de mener sa vie, en toute indépendance. Des problématiques qui seront prépondérantes dans les années 1960.

Le métier de votre héroïne s'inspire-t-il de votre propre expérience de serveuse de bar ?

Absolument (rires), mon expérience de serveuse m'a beaucoup aidée. Mais, vous savez, ce n'est pas facile pour une femme de se retrouver derrière un bar. Très souvent, je mettais une alliance au doigt pour éviter d'être sans arrêt importunée. Quand on sert à boire aux gens, on est témoin du fait qu'ils s'enivrent et, souvent, dans ces circonstances, ils ont beaucoup choses à vous raconter. Et du coup, on rassemble des tas d'histoires qui peuvent être émouvantes et touchantes et qu'on emmagasine pour plus tard. Donc, je me suis inspirée de cette expérience-là, mais, croyez-moi, on ne devrait jamais partager ses pensées profondes avec un écrivain (rires) !

Pourquoi évoquer un homme et une femme aux moeurs homosexuelles ? 

Parce que la manière dont on aborde la sexualité est radicalement différente selon qu'on est un homme ou une femme et qu'il était important pour moi d'évoquer cette problématique dans le contexte des années 1950. Parce que, dans les années 1990, j'ai souvent entendu des personnes dire que seuls les hommes pouvaient être gays. Mon héroïne découvre cette sexualité, à une époque où les femmes ne sont pas forcément conscientes de leur pouvoir et où la sexualité est largement dominée par les hommes. Donc, cela m'a paru important de camper des personnages qui explorent cette itinéraire particulier, à une époque très répressive en ce domaine.

Propos et photo recueillis par Herve CIRET

Traduction par Francis GEFFARD, directeur de collections aux éditions Albin Michel

"Et nous nous enfuirons sur des chevaux ardents" (On Swift Horses) de Shannon Pufahl aux éditions Albin Michel. L'auteure sera présente à l'édition 2022 du Festival America de Vincennes (22-25 septembre)

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