Ce sont les fumetti, petits
fascicules bon marché de bandes dessinées italiennes, ainsi que les westerns de Sergio Leone, qui ont influencé le dessin
de Laurent Astier, auteur de la nouvelle série BD "La Venin" (Editions Rue de Sèvres) . Celle-ci met en scène une jeune femme, venue
en 1900 dans une petite ville minière du Colorado pour s'y marier, mais découvre le décès de son futur époux.
Aussi, doit-elle - comme l'avait fait sa mère - se prostituer dans un
saloon. Mais, le contenu de sa valise, laisse entendre
qu'elle est là pour une toute autre raison. Rencontre avec Laurent Astier (photo @Herve Ciret), l'auteur de cette nouvelle saga western.
Quelles
ont été vos premières influences westerns ?
Mes
premiers dessins à 7 ans, c’étaient des cow-boys et des Indiens
et, vers l’âge de 9 ans, j’ai créé avec mon frère des petites
histoires de chevaliers en bande dessinée, même si j’ai toujours
rêvé de western. A l’époque, chez ma
grand-mère, nous étions tombés sur des fumetti, ces petits fascicules de
bande dessinée bon marché, sur la conquête de l’Ouest, vendus en kiosque, parmi
lesquels de nombreux westerns, qui appartenaient à mon oncle et à
mon père. Notamment, "Ken Parker" dessiné par l’Italien Milazzo et "Tex Willer" de Gian Luigi Bonelli. Et puis, dans la série "Blueberry"
de Charlier et Giraud, il y avait un petit livret qui racontait le
personnage et la période traitée, à partir de
vraies-fausses photos d’époque. Ce type de
documents est à l’origine de la création des carnets d’Emily,
l’héroïne de "La Venin", qu’on découvre en fin d’album.
C’était l’envie aussi d’inclure la vie de ce personnage de
fiction dans la grande histoire américaine, en mêlant des faits
réels et des personnages ayant existé, avec un personnage totalement
inventé, afin de lui faire vivre la grande histoire
américaine.
Vous
avez également été influencé par le western spaghetti ?
Oui, cela
fait partie de l’influence qui j’ai vécue avec "Blueberry" dont toute une période était très inspirée du western spaghetti. J’adore "Il était une fois dans l’Ouest", au point de l'avoir vu vingt fois. Mais, "Le bon, la brute et le truand" est le plus intéressants, parce plus
profond et plus complexe. Après, il y a eu l’influence
de "La dernière Séance", l'émission TV d’Eddy Mitchell, qui diffusait
beaucoup de westerns classiques américains, réalisés notamment par
John Ford et Howard Hawks. Et, c’est
vrai que ma manière de dessiner est très influencée par l’utilisation des cadrages du western classique américain et spaghetti. D'autant qu'en bande dessinée, on est un peu obligé
d’utiliser les images mythologiques de certains westerns, pour
essayer d’influer sur le cerveau du lecteur et de le faire rêver, au-delà de ce qu’il perçoit sur le papier.
Pourquoi
avoir choisi de raconter une histoire western ?
L’univers carcéral et confiné de mon précédent album
"Face au mur" a pas mal joué sur le fait de vouloir enfin
dessiner de grands espaces ouverts, après six ans passés dans un univers très clos, obligeant a dessiner des cadrages très fermés.
Donc, l’envie du western est revenue au galop. D’autant que j’en
rêvais depuis toujours. Après, je savais que j’allais me
confronter au maître du genre, Jean Giraud, qui a quasiment tout
inventé graphiquement, tout au long de sa série "Blueberry". Donc, j’ai attendu d’avoir
un dessin suffisamment aguerri, pour pouvoir m’y confronter.
Pourquoi ce titre, La Venin ?
C’est
un titre que j’avais en tête depuis que j’ai 14-15 ans et qui
était lié à la lecture d’un roman, dont je n’ai jamais
retrouvé trace depuis. C’est aussi une référence à "La Poison"
de Sacha Guitry et à la série de films "Lady Vengeance". Donc,
je trouvais que c’était un titre assez fort et assez drôle, avec
une faute d’orthographe. En même temps, cela donne du sens, parce
cela permet de féminiser "le" venin et du coup de pouvoir présenter
cette héroïne, dans ce contexte de western.
Pour quelles raisons avoir choisi
une femme comme héroïne ?
Le
personnage d’Emily est né d’un petit dessin que j’avais fait
en 2012, sous forme d’hommage au personnage de Claudia Cardinale
dans "Il était une fois dans l’Ouest". Car, je trouvais
dommage que son personnage ne soit que la caution érotique du
récit. Même si celui-ci possède un arrière-plan très
intéressant, mais hélas pas développé. En reprenant un personnage féminin de l’acabit de
celui de Claudia Cardinale, je
trouvais qu’on pouvait développer une approche
différente de l’histoire américaine, sur cette période-là. Donc,
j’ai lu les biographies des femmes de l’Ouest qui ont marqué l’Histoire. Comme Calamity Jane, évidemment, mais aussi des
tenancières de maisons closes, dont le parcours est éminemment
intéressant, parce qu’elles se sont réinventées des
dizaines de fois. Le plus souvent, par obligation de voyager et suite à de
mauvaises rencontres, qui les obligeaient à s’enfuir et à trouver un
nouveau travail. Et je trouvais cela intéressant de pouvoir relier
le voyage à la métamorphose permanente du personnage, ce qui
permettait de jouer avec les codes ultra-connus du western de série
B. Ainsi, dans le premier tome de la série, l'héroïne devient une prostituée, puis
se déguise en pseudo cow-boy, puis enfile une tenue de nonne. Aussi, je trouvais
intéressant de travailler avec l'univers ultra codifié du western,
tout en conservant la profondeur du personnage. Ceci, afin de découvrir, via des flashback, quel est le destin et le
parcours de ce personnage féminin.
Les Indiens sont également présents…
Les Indiens sont également présents…
Effectivement, j’ai
lu de nombreux livres sur l’histoire des Comanches, même si la scène qui se déroule dans une
réserve indienne ne fait que 5-6 pages dans l’album. Mais, j’avais
envie de le faire et j’espère que le
lecteur appréciera le travail de recherche
que j'ai effectué, avant d’écrire mon scénario. Notamment, sur le fait que les Amérindiens
subissaient l’enfermement de leurs enfants dans des pensionnats où
on leur coupait les cheveux et les obligeait à ne plus parler leur
langue. D'où cette haine féroce qui persistait et
que je voulais montrer dans cette scène-là chez
les Comanches.
Pourquoi
avoir choisi l’année 1900 pour camper votre histoire ?
Les
historiens estimant que la fin du "Old West" s’arrête en 1890, et
l’histoire de mon héroïne commençant en 1885, on demeure dans cette période. En choisissant
cette période tardive, ce qui m’intéressait c’est d'être à cheval entre deux
mondes. A l'époque, les trois-quarts des Américains de l'Ouest vivent encore comme des
pionniers, dans les grandes plaines et de petites villes avec leur saloon
et leur shérif. En même temps, dans l’Est, c’est le début de la
révolution industrielle, des gratte-ciels et du
développement des mégalopoles. Donc, cela me paraissait intéressant de montrer cette différence. D’autant que c’est une période assez peu traitée
dans les westerns au cinéma. Ainsi, e trouvé intéressant d’inclure des évènements s’étant déroulés sur cette période-là, afin d’obtenir le plus de véracité possible par rapport à mon
histoire. C’est un montage scénaristique qui me permet de
faire des liens avec la grande Histoire américaine dont je me suis
inspiré.
Propos et photo recueillis par Herve CIRET, lors de l'édition 2019 du festival de la bande dessinée d'Angoulême
"La Venin - tome 1 : Déluge de feu" (Rue de Sèvres) de
Laurent Astier
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