De nombreuses oeuvres de graffeurs américains sont présentées au musée de l'art urbain à L'Aérosol, au nord de Paris (18e). Nouveau lieu artistique temporaire implanté dans un ancien entrepôt de la SNCF, il a ouvert en septembre 2017 pour une durée de cinq mois. Nous avons rencontré Alain-Dominique Gallizia, expert du graffiti sur toile et collectionneur, dont nombre d'oeuvres qu'il possède y sont présentées.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, le street art n'est pas né dans la rue…
Il
faut faire une différence entre le street art et le graffiti
d'atelier sur toile. Ce dernier est un art développé par des
artistes, dont certains venaient des Beaux-Arts. La bombe de peinture
a constitué pour eux un nouvel outil, qu'ils ont appelé le
"pinceau spatial" et dont ils ont voulu étudier
l'ensemble du potentiel. Ainsi, sans réellement le vouloir, ils ont
créé un courant artistique totalement original. Dans les années
1970-1972, ils ont fondé l'union des artistes de graffiti, afin
d'exposer en galerie. C'est donc de cette époque que date la
peinture sur toile en atelier. C'est un courant qui a démarré, à
partir de petites galeries associatives et qui a connu une
reconnaissance suprême, en 1983, en étant exposé chez Sydney
Janis, une galerie new-yorkaise de renom.
Ce
mouvement a démarré aux Etats-Unis, car il n'existait rien de ce
genre en Europe ?
Alain-Dominique Gallizia |
Tout
à fait, car le lien entre les Etats-Unis et l'Europe a été réalisé
par Philippe Lehman, de son nom d'artiste Bando, né de mère
française et de père américain. Quand le graffiti sur toile s'est
arrêté aux USA en 1983, cet artiste franco-américain a fait venir
en France des artistes des Etats-Unis, comme A-One et Jonone, qui
désormais ne pouvaient plus travailler à New-York, parce que les
wagons des trains sur lesquels ils peignaient étaient désormais
trop bien surveillés et que les galeries - suite à l'intervention,
notamment, d'Andy Warhol - ne devaient plus exposer de graffitis,
hormis Kenny
Charf, Jean-Michel Basquiat et Keith Harring. Résultat, seul un
petit nombre d'artistes a continué à réaliser sur les murs, des
œuvres que, jusque-là, ils créaient uniquement sur toile et sur
métal. Donc, si Bando n'avait pas
fait venir cet art en France, il se serait sans doute totalement
arrêté.
Y a-t-il lien entre l'art du graffiti et la musique Hip-Hop ?
C'est
une tarte à la crème d'affirmer que les premiers artistes de
graffiti d'atelier écoutaient du Hip-Hop, car en réalité, ils
écoutaient du Jazz et du Hard-Rock. Le Hip-Hop est né plus tard,
avec Fab Five Freddy et Rammelzee, lorsque celui-ci a fait la
révolution du Rap, avec son disque "Beat Bop",
produit et dessiné par
Jean-Michel Basquiat.
Une
carte postale de l'artiste Ali - actuellement exposée à
l'Aérosol à Paris – prouve qu'il a été, avec Bando,
écouter un concert du saxophoniste de jazz, John Coltrane.
Dondi White |
Les
artistes français se sont-ils saisis à leur tour de ce
mouvement artistique ?
Oui,
car le franco-américain Bando a été rejoint à Paris par Ash -
dont l'Aérosol présente l'esquisse du premier mur du terrain de
Stalingrad – qui rejoint Jay One et Skki, pour créer BBC (Bad Boys Crew), le plus
grand groupe d'Europe et sans doute au monde, groupe qui fait le lien
entre les Etats-Unis et l'Europe, en travaillant avec les artistes
américains. Ainsi, le terrain de Stalingrad devient le creuset du
graffiti à Paris, en accueillant des artistes européens dont la
réputation rejaillit dans le monde entier. Et le centre névralgique
de ce mouvement était le quartier latin, notamment, St
Germain-des-Prés, puisque ce sont des enfants de bourgeois qui, à
l'origine, ont lancé ce mouvement et c'est à eux que revient le
mérite d'avoir permis à ce mouvement artistique qui s'éteignait à
New-York, de renaître à Paris.
Aujourd'hui,
pourquoi parle-t-on de street art et non de graffiti ?
Rammelzee |
C'est
une confusion des journalistes, car le mur n'a jamais été le
premier endroit où les artistes post-graffiti se sont exprimés.
Ces derniers n'ont pas souhaité conserver l'appellation "Graffiti", lui
préférant celle de "Pressure Art" (Pressionnisme), afin d'interpeler
le monde de l'art et d'affirmer que leur mouvement y avait sa place.
Une appellation qui fait référence à trois notions : la
pression de la bombe de peinture, celle exercée sur eux par
l'establishment culturel et celle résultant de la
rivalité entre artistes.
En effet, sur les wagons, les artistes travaillaient
toujours en trio, à la manière d'une joute chevaleresque médiévale
se déroulant dans un espace clos et non dans la rue. Le meilleur
exemple en est la piscine Molitor à Paris, dont l'intérieur était
recouvert de 3 000 graffitis, mais aucun à l'extérieur. L'oeuvre
n'était donc pas créée pour le grand public, mais pour les
artistes qui se battaient en duel. Ceci, afin de montrer le niveau
auquel ils étaient parvenus, grâce à la complexité, à la liaison et
au remplissage des lettres et à leur figuration. En créant aujourd'hui la notion de street art, on fait comme si le graffiti n'avait jamais existé. Or,
parmi les grand pionniers américains du graffiti, aucun ne se
reconnaît aujourd'hui dans le street art. Pour eux, c'est un art
comme les autres.
Propos recueillis par Herve CIRET
Noms des artistes américains exposés à consulter dans la liste "Maquisart-Hall of Fame/Musée de l'art urbain"
Les
23 et 24 septembre 2017, à l'Aérosol, 20 guitares électriques Fender Stratocaster
blanches seront customisées, en direct, par des streets artists
renommés. Ces instruments seront vendus aux enchères, au profit de l'association
"Génération Bataclan", afin de financer un mémorial
en hommage aux victimes des attentats de novembre 2015 en France.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire