Si
Victor Hugo s'est beaucoup passionné pour l'Amérique,
il n'en a jamais aperçu les rivages. Contrairement à sa fille
Adèle qui, en 1863, suite à ses déboires
amoureux avec le lieutenant Pinson, s'est retrouvée à
New-York et a envisagé un moment de s'installer à Halifax,
en Nouvelle-Ecosse.
Cela dit, Victor Hugo s'est surtout intéressé
aux héros et grands hommes d'état américains : Penn, Franklin, John Brown ou encore Abraham Lincoln. Des modèles,
selon Hugo qui permettaient au peuple de progresser. Aussi l'Amérique
est-elle, pour l'homme politique français devenu républicain
en 1847, l'exemple à suivre. Même s'il est très
déçu par la position des américains sur la
peine de mort et l'esclavage.
Jeune
écolier de 15 ans en 1817, Victor Hugo évoque
déjà les indiens d'Amérique du Nord dans ses
poèmes. Il est alors fasciné par leur côté
primitif et par la beauté des grands espaces dans lesquels
ils vivent. Après 1830, l'écrivain abandonne cette
vision "idyllique" du Nouveau Monde et s'en prend aux "civilisateurs"
blancs, pourchasseurs d'indiens : "Vous
croyez civiliser un monde, lorsque vous l'enfiévez de quelque
fièvre immonde, quand vous troublez ses lacs, miroirs d'un
dieu secret, lorsque vous violez sa vierge, la forêt. Quand
vous chassez du bois, de l'antre, du rivage, votre frère naïf
et sombre, le sauvage... Et quand jetant dehors cet Adam inutile,
vous peuplez le désert d'un homme plus reptile... Idolâtre
du dieu dollar, fou qui palpite, non plus pour un soleil, mais
pour une pépite, qui se dit libre et montre au monde épouvanté
l'esclavage étonné servant la liberté ! " (poème
"La civilisation" extrait de "Toute la lyre")
Dessin de Victor Hugo |
C'est
en 1859, depuis son Ӕle-exil"
de Guernesey, que Victor Hugo s'élève contre l'exécution
d'un esclave noir, John Brown. Un évènement qui, selon
certains historiens, fut le point de départ de la guerre
de Sécession. Le drame se produit le 16 octobre 1859,
à Harper's Ferry, un village près de Washington, où sont
entreposées les munitions fédérales. John
Brown, abolitionniste farouche, persuadé qu'il faut libérer
les noirs par la violence, s'empare des armes stockées
dans l'arsenal de la localité, afin d'y établir une place forte
composées d'esclaves libérés.
Accompagné
par une vingtaine d'hommes, John Brown coupe les fils télégraphiques
et se retranche dans la caserne des pompiers. Le gouvernement américain envoie sur place le général Lee - qui s'illustrera
plus tard durant la guerre de Sécession.
Deux jours plus tard, John Brown, grièvement blessé,
est fait prisonnier, accusé de trahison, de meurtre et de conspiration.
L'affaire
fait grand bruit
en Amérique. Au point que certains nordistes
américains essayent de réunir une somme
importante, afin de faire libérer John Brown. Le
2 novembre 1859, celui-ci est condamné à mort par pendaison. Dans
le Nord des Etats-Unis, de nombreuses manifestations en faveur du
rebelle se succèdent : on tire des salves de canons, on sonne
les cloches, on offre des prières.
Depuis son lieu d'exil à Guernesey, Victor Hugo, même
s'il ne lit pas l'anglais, est informé par les journaux
de New-York et
de San Francisco. Son plaidoyer enflammé
en faveur de John Brown est publié par plusieurs journaux
anglais et reproduit par un tiers des gazettes américaines.
Si certaines d'entre elles comprennent la démarche d'Hugo,
des journaux sudistes traiteront Hugo de "poète français
fou". En 1867, lors de la souscription lancée pour offrir
une médaille à la veuve de John Brown, l'écrivain
français écrira : "L' Amérique
doit à John Brown une statue aussi haute que la statue de
Washington. Washington a fondé la république, John
Brown a promulgué la liberté."
Après
la capitulation de Napoléon III à Sedan, l'Amérique
est le premier pays à reconnaître la République
française. Après 15 ans d'exil à Guernesey,
Victor Hugo est de retour à Paris. L'information est commentée
par la quasi-totalité des journaux américains. "Le
Courrier des Etats-Unis" cite les paroles d'Hugo devant le drapeau
américain flottant à côté de ceux de
l'Italie, de la Suisse, de l'Espagne à sa sortie de la gare
: "Cette bannière étoilée
parle aujourd'hui à Paris et à la France, proclamant
les miracles de puissance qui sont faciles à un grand peuple luttant
pour un grand principe - la liberté de toutes les races,
la fraternité de tous." Cette allusion au drapeau américain
est reprise par les journaux qui témoignent de l'admiration
de l'écrivain pour la jeune nation.
C'est en avril 1863, à Guernesey,
qu'un journaliste américain rencontre Victor Hugo pour la première
fois. Il s'agit de Theodore Johnson du "Harper's
New Monthly Magazine". Celui-ci est très frappé par
l'aspect physique de l'écrivain, avec ses cheveux blancs et ses
traits burinés. En 1870, le "Appletons' Journal" publie
un article rédigé par un officier de la marine américaine
dont le bateau passait à proximité des côtes de
Guernesey. A cette époque Hugo est absent, mais l'un
de ses proches lui fait visiter
"Hauteville House", l'antre du poète.
Rentré à
Paris, après son exil, Hugo continue de recevoir la visite de
journalistes américains. Lucy H. Hooper de l' "Appletons'
Journal", qui a étudié le français et vénère
l'écrivain, passe quelques heures avec lui, en compagnie de Juliette Drouet, l'égérie d'Hugo.
La même journaliste écrit un autre article pour le "Lippincott's
Magazine". Puis, c'est un correspondant du "New-York Times"
qui suit Victor Hugo, lors d'un congrès littéraire en 1878,
puis le rencontre et ressort charmé par celui qu'il estime être
" l'un des meilleurs causeurs du monde". Une autre journaliste,
Emily F. Wheeler, qui vit dans une famille amie des Hugo, publie un
article dans le "Potter's American Monthly" de Philadelphie.
Plus inattendu, le "Century Magazine" demande à l'écrivain
français du Midi, Alphonse Daudet, de rédiger un article
sur Victor Hugo qu'il a toujours admiré. Ainsi, jusqu'à
sa mort, les journaux américains publieront des articles sur
l'homme de lettres.
"Hans
d'Islande",
le premier roman de Hugo qui évoque des monstres norvégiens et paraît en France en 1823, n'est traduit en Amérique que 20 ans plus tard. Publié dans une collection bon marché, ce livre rencontre un énorme succès aux Etats-Unis. Le second, "Bug-Jargal", qui
traite de la révolte des esclaves dans l'île de Saint-Domingue,
n'attendra que 7 ans pour être lu par les américains. Sans doute parce que l'esclavage était l'un de leurs sujets
de préoccupation. En 1834, suit "Le Bossu de Notre-Dame", puis 28 ans plus tard, "Les
Misérables". Bien que publié en pleine
guerre de Sécession,
ce roman sera le plus imprimé aux Etats-Unis et "le seul livre
d'importance publié dans les frontières de la Confération
du Sud pendant la guerre", écrira le
"Evening Bulletin" de la ville de Providence dans le Rhode Island.
En 1869,
"L'Homme qui rit"qui dépeint l'aristocratie
anglaise, est publié sous forme de feuilleton dans le "Appleton's
Journal" de New-York. Le roman est commenté par des centaines
d'américains. Quant à "Quatre-Vingt-treize",
il paraît aux Etats-Unis, en 1874, dans une traduction fidèle,
ce qui n'a pas toujours été le cas des précédentes
traductions. Contrairement à ses romans, les oeuvres théâtrales
et poétiques d'Hugo ont été beaucoup moins traduites
en Amérique. Ce qui n'empêche pas des pièces comme
"Hernani", "Notre-Dame
de Paris", "Le Roi s'amuse", "Lucrèce Borgia"
ou encore "Ruy Blas" d'y avoir été jouées. Des opéras,
inspirés des drames d'Hugo, seront même composés
par des auteurs américains. Bien que l'écrivain se soit
toujours opposé à la mise en musique de ses oeuvres.
En revanche, dès 1825, des extraits de ses livres sont reproduits dans les manuels
de lecture scolaires Outre-Atlantique.
Herve CIRET
Informations
extraites de "Victor Hugo et les américains" de Monique Lebreton-Savigny
aux Editions Klincksieck (1971)
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