L'Amérique de... Paul Kantner

Paul KANTNER était l'un des membres fondateurs du Jefferson Airplane, groupe de musique psychédélique américain des années 1970. 

En compagnie de Grace Slick, Marty Balin, Jorma Kaukonen, Jack Cassidy, il a incarné le mouvement hippie en Californie et, plus généralement, la contre-culture américaine. 

Il est décédé en 2016, à 74 ans, alors qu'il continuait de se produire sur scène.


Le 4 mai 2005, on célébrait le 35e anniversaire de la mort de 4 étudiants à l’Université de Kent dans l'Ohio, tués par la garde nationale parce qu'ils manifestaient contre la guerre au Vietnam. Est-ce que cet évènement vous est resté gravé en mémoire ?

Non, pas véritablement, car c'était simplement l'un des évènements marquants de l'époque. Il y en a eu malheureusement plein d'autres. C'était l'une des nombreuses horreurs de l'époque. La première et la plus fondamentale qui a tout changé, cela à été l'assassinat, le 23 novembre 1963, de John Fitzgerald Kennedy, qui avait donné des espoirs, dans le gouvernement à pas mal de gens. Ensuite, tout s'est enchaîné et probablement que même le mouvement qui est apparu à San Francisco, au milieu des années soixante, a été une conséquence de l'assassinat de JFK, une réaction à toute cette série d'horreurs, qui s'est développée à la suite de cet évènement.



Dans un article de la revue « High Check Music News », un long éditorial affirme qu’il devient urgent que ceux qui ont milité au milieu des années soixante dans les mouvements politiques, afin que la société américaine change, fassent entendre leur voix. Pensez-vous qu’il est urgent de vous fassiez entendre votre voix ?


On n'a jamais eu de mal à se faire entendre et, d'ailleurs, lors de notre concert à l'Olympia à Paris, je crois qu'on a joué trop fort (rires). Plus sérieusement,  à l'époque, on a pris les choses en main et l'essentiel du message, c'était de ne pas accepter l'information, telle qu'on vous la transmet. Mais d'aller chercher la vraie information, essayer d'inventer des manières nouvelles de faire les choses, afin de modifier la situation.

Tous les mouvements écologiques, pour le vote des femmes, pour la défense des océans sont issus du mouvement né à San Francisco dans les années soixante, parce que les gens à cette époque se sont pris en main. Mais, à partir de l’assassinat de Kennedy, alors qu'émergeait un rêve national, tout s’est écroulé et chacun a été obligé de trouver sa propre voie, car, on ne pouvait plus croire à ce rêve. Et, c'est là que beaucoup d’erreurs ont été commises, que pas mal de gens sont morts.

Mais, il faut expliquer que San Francisco constitue une zone particulière aux Etats-Unis. C'est presque comme une bulle protégée du reste des USA et donc des choses négatives. C'est pourquoi les gens y ont toujours poursuivi leur propre chemin et portent un regard différent sur l'actualité dans le monde. Et, plutôt que de croire ce qui arrive, ils l'étudient et font leur propres choix individuels et j'espère que ces choix sont les bons. Je ne peux expliquer pourquoi, mais je suis très content d'y avoir grandi  

 
Quelles sont vos impressions sur des lieux mythiques de San Francisco comme les deux Filmore, Avalon Bowen, ces grandes salles de concerts de l’époque ?

Jefferson Airplane à Woodstock en 1969
C’était absolument fantastique ! Et la musique n’était qu’un des ingrédients et même un ingrédient assez mineur finalement. Ce qui se passait, c’est que les gens avaient envie d’être ensemble, de se retrouver, de confronter leurs idées, de communiquer, d’explorer des choses. Et les gens se rendaient dans ces endroits-là, comme on se rend sur une place de marché pour échanger des choses. C’était vraiment fascinant, comme le sont restés certains cafés aujourd’hui et c’était incroyable d’être là et d’assister à tout ce mouvement d’idées, de passions. Etant musiciens, on était en hauteur sur scène et on voyait tout ça, tout en faisant partie intégrante, qui était comme un mouvement de renaissance de la pensée, de la réflexion, de la mode, du jugement, des voitures, de la musique, car il s’agissait d’explorer dans toutes les directions.


Et quelle était la part des drogues dans tout ça ?

Paul Kantner en 1970
Les drogues, c'était mineur, comme un dessert, comme un bon repas, c'était en plus. Et comme dans plein de bon repas, il y avait des gens qui mangeaient trop ! Et comme dans beaucoup d'explorations, il y a des gens hélas qui sont morts. Mais, contrairelent à beaucoup de groupes de l'époque, aucun membre du Jefferson Airplane n'est décédé d'une overdose. Cela m'a inquiété, parce que je me suis dit que nous n'étions pas un vrai groupe de rock 'n roll, parce que nous n'arrivions pas à mourir comme les autres ! 

En ce qui me concerne, j’ai eu peur des seringues, dès l’âge de cinq ans, lorsque j’ai vu un docteur pour la première fois. Et encore aujourd’hui, cela me ferait peur de m’injecter quelque chose. Donc, il n’en était pas du tout question. Et puis, je pense que nous étions plus prudents et qu'aussi nous avons eu plus de chances. L'autre raison, c'était l'aspect interdit des drogues. Après l'assassinat de Kennedy, on s'est mis à prendre des drogues, parce que, justement, c'était interdit. Et, parce qu'on avait l'impression, après cet assassinat, que tout le monde nous mentait. E, donc, nous avons voulu explorer autre chose.

Mais, la cigarette que je tiens à la main est l'une des drogues les plus insidieuses et les plus dangereuses. Car, elle tue près de 500 000 personnes par an, alors que toutes les autres drogues tuent de 20  000 à 80 000 personnes maximum par an et que la marijuana ne tue absolument personne. Donc, si on compare ces drogues légales qui sont encouragées, comme l'alcool et le tabac, celles-ci tuent un million de personnes par an.

Est-ce que la conscience politique de la jeunesse américaine d’aujourd’hui est plus ou au contraire moins grande qu’à l’époque du Jefferson Airplane ?

Jorma Kaukonen
La conscience politique des jeunes américains semble avoir aujourd’hui disparu. Mais, Jefferson Airplane n’a jamais été un groupe politique, même s’il a composé des morceaux politiques. Nous avons réussi à créer notre propre monde, dans cette bulle qu’était San Francisco et ce monde n’était pas essentiellement politique. Notre grand privilège, notre lutte, c’est qu’on pouvait aborder les problèmes différemment. On a réussi à créer un monde qui était le nôtre et qui se suffisait à lui-même et dans lequel la politique avait une valeur. Mais, une valeur vue à travers la musique et la poésie. 

Aujourd'hui, le problème politique américain est bien sûr énorme, notamment, en ce qui concerne la sécurité sociale, la couverture médicale ou la retraite. Mais, bizarrement, personne ne semble s'y intéresser réellement. Il n'y a pas beaucoup de discussions, de débats. En France, cela semble des choses acquises, vous avez une couverture sociale. Mais, aux Etats-Unis, nous n'en avons pas. Il faut comprendre que c'est un pays où il n'y a pas de couverture sociale réelle. C'est un pays où l'on humilie les pauvres, les gens qui sont malades, les vieux et pour lesquels on ne fait absolument rien. 


Grace Slick
A cela s'ajoute la peine de mort, qui est quelque chose d'aussi criminel et barbare que les décapitations en Arabie Saoudite. On avait réussi à se débarrasser de la peine de mort, mais ils l'ont réintroduite. L'un de mes enfants, qui habitait au Koweit a assisté à une décapitation et il m'a dit que c'était quelque chose d'absolument horrible. Mais. il faut essayer, petit à petit, d'aller dans la bonne direction. C'est comme un cailloi qu'on laisse tomber dans l'eau. Cela finit par faire des vagues et on finit peut-être par obtenir quelque chose. 

Le luxe que nous avons eu, c'est qu'en tant que musiciens, nous avons pu approcher ces problèmes-là, de manière très différente avec la musique, la poésie et les cailloux qu'on jetait dans l'eau touchaient une, deux, cinq, vingt mille personnes. Et cela, c'est un sentiment très positif. Et c'est cela que nous avons vécu.


L'interview de Paul Kantner a été réalisée, lors de son passage à Brest (Finistère), en mai 2005, à la librairie Dialogues et à la salle de concert, Le Vauban. Questions et traduction : Hugues Guerrault, professeur d'anglais à l'université de Bretagne occidentale - photos Herve CIRET

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