Simenon près de Tucson |
Du
Nouveau-Brunswick, au Canada, à la Californie, aux USA,
en passant par la Floride, la Louisiane et l'Arizona, Georges
Simenon a passé dix ans de sa vie en Amérique, entre 1945 et 1955.
Depuis
août 1944, Georges Simenon est aux Sables d'Olonne, en Vendée,
afin de s'y remettre d'une mauvaise pleurésie. Mais quelque
mois plus tard, il s'y retrouve assigné à résidence
par les autorités de la Libération. La publication de
certains de ses romans dans des journaux collaborationnistes et la
cession de leurs droits, à la société de films
allemande "Continental", afin de les adapter au cinéma,
sont considérés comme des actes de collaboration
avec l'ancien occupant. En avril 1945, l'écrivain est inculpé
d'intelligence avec l'ennemi. Après avoir obtenu un visa pour
le Canada et les Etats-Unis, sous prétexte d'assurer une mission
officielle d'édition et de cinéma, Simenon et son épouse
passent en Angleterre et embarquent à Southampton destination
l'Amérique. 12 jours plus tard, en octobre 1945, le couple arrive à New-York. Il y est accueilli par l'un de ses amis, Justin
O'Brien, autrefois responsable en France des services secrets américains,
redevenu professeur de littérature française à
son retour au pays.
Loin d'être discrète, l'arrivée
de Simenon est très médiatisée. L'écrivain
rappelle aux journalistes qu'il a écrit des romans américains
comme le populaire
"L'Oeil de l'Utah", récit de guerre dans
les plaines de l'Ouest. En effet, dès
les années 30, l'action de certains romans de Simenon ("Les
bandits de Chicago", "Les pirates du Texas", "Le
chinois de San-Francisco", "L'oeil de l'Utah") se
déroulait déjà aux Etats-Unis. Mais, l'intrigue
était alors basée sur les connaissances livresques
de l'auteur.
C'est à l'occasion de son séjour en Amérique que l'écrivain belge s'imprègne
véritablement de "l'American Way of life". Jusqu'à
écrire plusieurs romans ayant pour cadre les Etats-Unis ("Trois
chambres à Manhattan", "Maigret à New-York",
"Le fonds de la Bouteille", "Maigret chez le coroner", "La mort de Belle"), voire même un livre totalement
"western" ("La jument perdue"), dont
l'action se déroule près de Tucson, en Arizona, dans un ranch tenu par deux cow-boys
et la soeur de l'un d'eux. Mais, durant son séjour américain, Simenon continue
d'écrire des oeuvres majeures ayant la France pour cadre
("L'aîné des Ferchaux", "Lettre
à mon juge", "Les vacances de Maigret",
"Les fantômes du chapelier", "Les volets
verts").
Installé
quelques temps à GreenWich Village, chez son ami O'Brien,
Simenon redécouvre le New-York qu'il a connu lors de son
tour du monde en 1934-1935. Il y fait la connaissance
de Denise Ouimet, une canadienne, qui devient sa secrétaire
et sa maîtresse. Pendant ce temps, l'épouse de Simenon,
Tigy, et son fils Marc restent au Canada. De retour au foyer familial, l'écrivain demande
à Denise de venir le rejoindre. C'est là que Simenon
rédige "Trois chambres à Manhattan"
et "Maigret à New-York". En
septembre 1946, la famille Simenon quitte Saint-Andrews, dans la
province du Nouveau-Brunswick, pour un périple qui va l'amener
jusqu'à Miami, en Floride.
Pour le compte du journal "France-Soir,
l'écrivain se métamorphose en journaliste pour raconter
son voyage au coeur de l'Amérique profonde. Le reportage
sera publié sous le titre
"L'Amérique en auto". Simenon découvre
le Coca-Cola, les hot dogs, les ice-creams, les motels et le pop-corn.
Ce qui ne l'empêche pas d'avoir un regard critique, en dénonçant
le racisme, le rejet des indiens, la vie standardisée des
américains, prélude à la mondialisation de
nos habitudes de consommation.
Fasciné
par les vastes étendues américaines, Simenon veut découvrir
d'autres horizons. Il sillonne le Tennessee, la Géorgie, à
bord d'une Packard 48, la voiture américaine de rêve
à l'époque. Puis, c'est le Texas, le Nouveau-Mexique
et, enfin, l'Arizona. L'écrivain s'installe à Tucson,
où il côtoie cow-boys, indiens, mexicains. Nous sommes
en 1947, la ville compte 100 000 habitants. Georges Simenon s'installe
dans une villa, dans Franklin Street. Il se sent bien dans ce "Far-West",
loin des de la foule et des grands centres urbains. Ses escapades
autour de Tucson, notamment, à Tombstone, la cité des
cow-boys, l'amènent à découvrir un village cow-boy
fantôme, en réalité, les décors d'un film,
"Arizona", tourné huit ans auparavant.
Simenon continue de s'immerger dans la vie américaine : piscines,
cinémas climatisés, drive-in, etc... Entre deux séances
d'écriture, il chevauche, en compagnie de son fils Marc, dans
ces plaines et ces pistes poussièreuses qui bordent les environs
de Tucson. Des images qui l'inspireront pour son roman "western",
"La jument perdue". "Ce n'est
pas un roman auquel j'attache de l'importance. C'est une sorte d'exercice
pour me familiariser avec les décors et les personnages américains",
écrit-il à André Gide, en 1948.
Alors
qu'il écrit "Maigret et le coroner",
une nouvelle aventure aux USA de son commissaire fétiche, Georges Simenon apprend que le Comité français d'épuration
des gens de lettres l'a condamné à ne plus publier
de livres durant deux ans. Coup dur pour l'écrivain qui s'installe,
en novembre 1949, à Carmel, en Californie où l'attendent
sa femme, Tigy et son fils Marc. Il va y rester un an. Dès
son arrivée en Amérique, Simenon avait annoncé
son intention de voir ses romans adaptés au cinéma.
A l'occasion d'un séjour à Hollywood, il loue les
droits d'adaptation à l'écran de "La
tête d'un homme", devenu
"The Man of the Eiffel Tower", avec Charles Laughton
(le tyrannique capitaine des "Révoltés du
Bounty") dans le rôle du commissaire Maigret. D'autres
de ses romans seront adaptés par le cinéma américain
: "Temptation Harbour" en 1948 (d'après
"L'homme de Londres") , "Midnight Episode"
en 1950 (d'après "Mr. La Souris") , "The
man who watched trains go by" (d'après "L'homme
qui regardait passer les trains") en 1953, "A life
in the balance" en 1955 (d'après "7 petites croix
dans un carnet") , "The bottom of the bottle" en 1956
(d'après le "Fonds de la bouteille"), "The
brothers Rico" en 1958 (d'après les frères Rico"). Mais, ces adaptations cinématographiques ne satisfont
pas Simenon. Sa collaboration avec l'industrie
cinématographique hollywoodienne lui laisse un goût amer.
Parlant d'Hollywood, il écrit dans ses "Mémoire
intimes" : "C'est
la ville la plus artificielle du monde, où chacun n'a que la
valeur des cachets qu'il touche et où il doit mener, fût-ce
contre son goût, la vie correspondant à ce cachet."
Herve CIRET
Informations
et photos extraites de "Sur les routes américaines avec Simenon"
- Michel Carly - Editions Omnibus (2002), "Simenon" - Pierre Assouline-
Editions Gallimard Folio (1996), "Simenon, une biographie" - Stanley
Eskin -Presse de la Cité (1990) et "Sur les traces de Simenon"
- Magazine Littéraire n° 417 (février 2003).
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