Un artiste fasciné par la cavalerie américaine
Avec
Russell et Schreyvogel, Remington est l'un des plus grands
illustrateurs de l'Ouest américain. Même, s'il a vécu à une
époque où The Old West n'était plus réellement sauvage, ses œuvres saisissent à la
perfection la vie de la Frontière.
Notamment, celle des soldats de cavalerie, qui grâce à lui, sont
passés à la postérité. D'où son rôle majeur dans la
construction d'un des mythes fondateurs de la société américaine.
« Frederic
Remington a représenté un mode de vie américain très
caractéristique et pourtant en voie de disparition », écrit
en 1907, le président des Etats-Unis, Theodore Roosevelt, également
rancher, en rendant hommage à l'artiste, dans un article du
Pearson's
Magazine. « Le soldat, le cow-boy, l'Indien, les chevaux et les
troupeaux des plaines vivront éternellement, j'en suis sûr, dans
ses peintures et ses sculptures. » Bien
qu'ayant traité une variété de thèmes, Remington a toujours été
fasciné, jusqu'à l'obsession, par la cavalerie américaine. Une
fascination qui s'explique par le fait que son père, officier de
cavalerie dans l'armée nordiste, était un héros de la guerre de
Sécession (1861-1865). L'une de ses actions d'éclat ayant été
d'attaquer 800 soldats sudistes, à la tête de 85 cavaliers. Un
exploit qui suscite l'admiration du jeune Frederic. Au point que ce
dernier représentera systématiquement le visage de son père dans
les personnages de ses tableaux.
Prédispositions
pour le dessin
C'est
loin du Far-West, dans une famille de notables de la côte Est, à
Canton (Etat de New-York), que naît Frederic Remington, le 4 octobre
1861. Son père, Seth Pierpont Remington, est propriétaire et
rédacteur de plusieurs journaux locaux. Il espère faire entrer son
fils à West Point. Quant à sa mère, Clara, elle attend aussi
beaucoup de ses enfants. Mais, vigoureux et remuant, préférant les
sports de plein air, le jeune Frederic déteste l'école. A 14 ans
ses parents l'envoient passer une année à l'Institut épiscopal du
Vermont, une académie militaire, près de Burlington. S'il apprécie
l'uniforme, en revanche, la discipline, les cours et la nourriture -
que ce bon mangeur estime mauvaise - le rebutent totalement. Ayant
montré très tôt, à l'âge de trois ans, des prédispositions pour
le dessin et après quelques cours suivis à l'Institut, en 1876, le
jeune Remington produit sa première peinture, « Le
Gaulois enchaîné ».
L'année suivante, il intègre une autre école préparatoire,
l'Académie militaire des Highlands, à Worcester (Massachusetts), où
il excelle en gymnastique, tout en continuant à dessiner son sujet
favori, les soldats. Ayant hérité de son père un penchant pour
l'écriture, le jeune Remington aspire à suivre des cours de
journalisme. Apprenant que l'université de Yale propose des cours de
littérature, en même temps que de beaux-arts, il s'y inscrit en
1878. Mais, reproduire des plâtres de sculpteurs classiques en
atelier ne le passionne guère. Il préfère pratiquer ses sports
favoris, le football et la boxe.
Premiers
voyages dans l'Ouest
S'il
ne pense pas, alors, faire carrière dans les arts, en revanche,
Frederic Remington est impatient de découvrir l'Ouest. La mort de
son père, en 1881, lui en donne l'occasion. Il prend le train,
direction le Dakota d'où il rejoint le Montana. Si elle ne dure que
quelques mois, son escapade lui permet d'assister au dernier grand
massacre de bisons, suite à l'engouement suscité dans cet Etat par
son élevage. Il comprend que l'Ouest sauvage est sur le point de
disparaître . « Je
compris que le temps des chapeaux melons, des cheminées fumantes
avançait à grands pas », racontera-t-il
plus tard,
« et que les cavaliers sauvages et les terres vierges allaient
rapidement disparaître. » Remington
observe, enregistre et dessine tout ce qu'il voit. De retour sur la
côte Est, ses cartons pleins d'esquisses, il parvient à vendre l'un
de ses croquis exécutés au Montana, au journal illustré « Harper's
Weekly » de
New-York, qui le publie en 1882. Décidé à retourner dans l'Ouest,
pour dessiner, mais également travailler dans un ranch, l'artiste,
désormais majeur, et ayant hérité de 10 000 dollars, achète un
élevage de moutons, au Kansas. Mais, Remington s'avère un piètre
éleveur et revend son affaire avec perte. Après avoir fait
l'acquisition d'une quincaillerie à Kansas City (Missouri), puis
d'un saloon, en1884, il se marie avec Eva Caten, la fille d'un homme
d'affaires new-yorkais. Mais, celle-ci, découvrant que l'occupation
de son mari consiste à faire du trafic d'alcool clandestin, retourne
dans sa famille, sur la côte Est.
Ses
débuts d'illustrateur
Durant
ses premiers séjours dans l'Ouest, Remington n'a cessé de dessiner.
Sur la base des esquisses qu'il a réalisées, il se met à peindre
des tableaux. Il en confie quelques exemplaires à une galerie d'art
de Kansas City, qui les vend immédiatement. C'est décidé. Puisque
les affaires ne lui réussissent pas, il quitte définitivement
l'Ouest pour s'installer à New-York. Il s'adresse à la maison
d'édition la plus importante, Harper
& Brothers.
Le public américain d'alors est fasciné par l'Ouest. En
particulier, par la traque du chef Apache Geronimo par la cavalerie
US. Mais, à l'époque, aucun artiste de la côte Est n'est
réellement documenté pour représenter ces Indiens. Or, les dessins
que propose Frederic Remington respirent l'authenticité. Au point
qu'Harper achete la totalité de ses œuvres. En moins d'un an,
l'artiste réussit à s'imposer comme l'illustrateur de l'Ouest.
Profession :
reporter
En
janvier 1886, la publication illustrée de Remington, « La
guerre Apache : éclaireurs indiens à la poursuite de
Geronimo »,
fait la une du Harper's
Weekly.
Le journal l'envoie comme reporter au Nouveau-Mexique, avec pour
mission de recueillir les dernières informations sur les allées et
venues de Geronimo. Remington devient, ainsi, peintre et
correspondant de guerre. Ce qui le rend populaire auprès des soldats
de l'armée américaine, dont il se plaît à saluer le
« grand courage physique », tout
en considérant les Mexicains comme une « bande
de sales types terriblement abrutis. » Mais,
notre peintre-reporter comprend rapidement que la capture du chef
Apache va prendre du temps. Il s'installe à Tucson (Arizona), où il
se lie d'amitié avec le lieutenant Powhatan Clarke, réputé pour sa
bravoure et qui s'avère être une source inépuisable d'articles. Au
point que Remington le transfigure en personnage de légende, le
représentant secourant un cavalier blessé, sous un tir nourri des
Indiens. Suite à l'envoi d'une lettre anonyme - en réalité écrite
par Remington - demandant à ce que l'officier reçoive la médaille
d'honneur du Congrès, le lieutenant Powhatan Clarke devient un héros
national et l'auteur du tableau parvient au sommet de sa gloire.
De
l'illustration à la peinture
Cependant,
sa collaboration avec Harper's
ne
procure pas assez de travail à Remington, qui cherche
d'autres opportunités. Grâce à ses amis de Yale, il parvient à
travailler pour St.
Nicholas,
une revue
pour
enfants, et Outing,
une publication sur la vie à la campagne. Commençant à bien gagner
sa vie, Remington déménage avec sa famille, dans les beaux
quartiers de Brooklyn. Il expose dans plusieurs galeries et dans la
prestigieuse National Academy of Design, aux côtés de peintres
américains célèbres. A partir de ce moment-là, Remington envisage
une autre carrière que celle d'illustrateur de presse. Ses
illustrations continuant de bien se vendre, sa famille emménage à
Malborough House, haut lieu de l'élite new-yorkaise. C'est à cette
époque qu'on
lui demande d'illustrer, « La
Conquête de l'Ouest », le
livre de Theodore Roosevelt .Une
première collaboration avec le
futur président des Etats-Unis, qui scelle l'amitié entre les deux
hommes. En 1889, à l'Exposition de Paris, l'artiste décroche une
médaille pour son
tableau
« Dernière Accalmie avant le combat ». Quant
à sa première grande toile, « Violente
Escarmouche »,
exposée à la National Academy of Design, elle est unanimement
saluée par la critique. La même année, les Remington achètent une
maison à New Rochelle, au nord-est de Manhattan, sur un terrain d'un
hectare et demi. Baptisée « Endion »
(l'endroit
où je vis,
en Algonquin), la propriété possède un atelier où l'artiste peut
confortablement travailler.
La
question indienne
C'est
à cette époque que Frederic Remington commence à collectionner des
objets indiens, qui lui servent de modèles, et à utiliser un
appareil photo, afin de se rémémorer les scènes qu'il restitue,
par la suite, sur la toile. En
1887, Harper's
l'envoie dans le Nord-Ouest canadien pour y dessiner des Indiens.
Mais, l'un d'entre eux s'offusquant d'être pris en photo, le peintre
évite de peu un coup de tomahawk. Au fur à mesure de ses
reportages, les liens de Remington avec l'armée se renforçent. En
1890, à l'invitation d'un ami de longue date, le général Miles, il
parcourt la Californie, puis le
Montana pour y étudier les Cheyennes du Nord. Au lendemain du
massacre de Wounded Knee, les autorités fédérales américaines se
préoccupent de la manière de traiter la question indienne.
Remington est de l'avis de certains militaires d'enrôler de
« bons Indiens », au sein de corps de cavalerie dédiés.
Tandis que d'autres prônent le contrôle des tribus indiennes par
des civils. Le gouvernement ayant opté pour la seconde solution, le
peintre est convaincu que la révolte des Indiens, en 1890, a été
provoquée par des agents des affaires indiennes, incompétents et
corrompus.
L'épreuve
du feu
« Pony
Tracks », le
premier livre de Remington, édité à quatre reprises, connaît un
succès retentissant. Il confirme sa réputation de « grand
conteur » de l'Ouest. Pourtant,
l'artiste a besoin de se lancer de nouveaux défis. Tout en
continuant de peindre, il invente et fait breveter un nouveau moyen
de transport des munitions, que l'armée finalement rejette. A la
recherche de nouvelles sensations, Remington fait l'expérience du
combat, en
1898, à Cuba, lors la destruction du bateau de guerre américain
« Maine »,
qui
provoque
l'entrée en guerre des Etats-Unis contre l'Espagne.
Embarqué à bord d'un des navires destinés à envahir Cuba, le
peintre subit l'épreuve du feu, lors de l'attaque de la colline San
Juan, au cours de laquelle les balles fusent autour de lui. De
retour à New-York, il rédige et illustre un article pour le
magazine Harper's
Monthly, dans
lequel il relate la tragédie et l'horreur de la guerre. En 1899,
l'éditeur Harper's
Brothers
connaissant des problèmes financiers et ne lui proposant plus de
traiter les sujets qui l'intéressent, Remington le quitte pour le
« Collier's
Weekly » qui
l'envoie à nouveau à Cuba pour un reportage sur l'armée américaine
d'occupation.
Un
sculpteur réaliste
Entre
temps, Remington
s'est mis à la sculpture. Une activité qui lui procure
un immense plaisir artistique, tout en continuant de lui apporter le
succès. Au point de se mettre à brûler certaines de ses plus
célèbres illustrations. Même s'il apprécie
les chevaux de bronze produits par des sculpteurs russes et polonais,
le peintre n'a suivi aucun enseignement en la matière et son attrait
pour le réalisme l'oppose à la sculpture académique de l'époque.
A la fin du 19e
siècle, l'allégorie étant préférée au réalisme, musées et
espaces publics américains exposent des statues de généraux de la
guerre de Sécession, revêtus de tuniques romaines et entourés de
colombes. C'est alors qu'il travaille dans son atelier, cherchant à
modifier la place de ses personnages sur la toile, que son ami et
dramaturge, Augustus Thomas, constate que Remington ne visualise pas
mentalement ses personnages, mais les promène physiquement sur le
tableau. « C'est
ce qu'on appelle une vision de sculpteur », fait-il
remarquer au peintre. Une semaine plus tard, un autre ami de
l'artiste, le sculpteur F.W. Ruckstull, lui affirme qu'il est
capable de
« travailler aussi bien avec de la cire que sur le papier. »
La
première sculpture de Remington « Le
dresseur de cheval sauvage » représente
un cow-boy maîtrisant un étalon. Mais, le bronze, qui repose
seulement sur les pattes arrières du cheval, pèse trop lourd. Au
lieu d'ajouter un traditionnel « pilier grec » pour le
faire tenir, Remington renforce l'armature de sa sculpture,
produisant ainsi un effet saisissant qui en fait son succès : 45
moulages sont vendus dans les trois ans qui suivent. L'un des
exemplaires est offert au chef des célèbres « Rough
Riders », le
colonel
Theodore
Roosevelt. Remington exécute un deuxième bronze, « Le
cavalier blessé »,
représentant un soldat à cheval soutenant un compagnon blessé.
Mais, en raison de son prix de 500 dollars, élevé pour l'époque,
la sculpture n'est fondue qu'à 20 exemplaires. Quand à son troisème
bronze, « Le
mauvais cheval », il
est mal accueilli, car il évoque un accident de cheval dramatique.
Au total, Remington produit 22 bronzes, dont le dernier, « La
débandade »,
est finalisé peu de temps avant sa mort.
L'influence
des impressionnistes
En
1900, Remington fait l'acquisition d'Ingleneuk, une propriété des
Thousand Islands, dans l’État de New-York. L'artiste y réalise un
certain nombre de paysages forestiers. Ses peintures de scènes
nocturnes deviennent plus impressionnistes et son sens de la couleur
s'affine, reflétant des sentiments jusque-là absents de son oeuvre.
A cette époque, Remington apprécie les peintres impressionnistes
américains, qui exercent un fort impact émotionnel sur le
spectateur, en utilisant la couleur et la lumière. En visitant une
exposition de peintures nocturnes du Californien Charles Rollo
Peters, Remington a une révélation. En 1902, il peint l'une de ses
premières scènes de nuit, « L'éclaireur
(amis ou ennemis?) ». Puis,
en 1903, « Cavalier
dans la nuit »
et « Coup
de feu dans la nuit », qui
suscitent l'intérêt des critiques. Désormais, Remington, figure
dans le prestigieux « American
Art Annual »,
non plus avec la mention d'illustrateur ou de sculpteur, mais
celle de peintre. Mais, les changements techniques opérés par
Remington ne remettent pas en question la nature des thèmes
abordés : l'Ouest, ses cow-boys et, surtout, la cavalerie US et
ses éternels ennemis, les Indiens.
Une
disparition prématurée
A
l'automne 1908, Frederic Remington fait sa dernière escapade dans
l'Ouest. Une expédition de chasse de trois semaines, dans le
Wyoming, dont il revient fatigué et malade. Désormais, pour lui,
c'en est fini des voyages. Pourtant, l'année se termine sur une note
triomphale, avec une exposition à la galerie Knoedler qui lui vaut
des louanges unanimes et lui rapporte une somme de 8 500 dollars. Le
peintre commence à faire construire une nouvelle maison à
Ridgefield (Connecticut), vend ses propiétés d'Ingleneuk et de New
Rochelle et déménage, en mai 1909. Mais, l'artiste souffre de
rhumatismes, qui l'empêchent d'assister au vernissage de sa
troisème exposition particulière, au cours de laquelle 17 toiles
sont vendues. Le 20 décembre 1909, pris de violentes douleurs
d'estomac, Remington tente de se soigner avec un puissant purgatif.
Lorsqu'un médecin est finalement appelé, il constate que
l'appendice du peintre a éclaté, l'opération révélant une
inquiétante péritonite. Le 26 décembre 1909, au sommet de sa
gloire, Frederic Remington s'éteint prématurément, à l'âge de 48
ans.
Herve CIRET
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