Frederick Remington (1861-1909)


Un artiste fasciné par la cavalerie américaine


Avec Russell et Schreyvogel, Remington est l'un des plus grands illustrateurs de l'Ouest américain. Même, s'il a vécu à une époque où The Old West n'était plus réellement sauvage, ses œuvres saisissent à la perfection la vie de la Frontière. Notamment, celle des soldats de cavalerie, qui grâce à lui, sont passés à la postérité. D'où son rôle majeur dans la construction d'un des mythes fondateurs de la société américaine.

« Frederic Remington a représenté un mode de vie américain très caractéristique et pourtant en voie de disparition », écrit en 1907, le président des Etats-Unis, Theodore Roosevelt, également rancher, en rendant hommage à l'artiste, dans un article du Pearson's Magazine. « Le soldat, le cow-boy, l'Indien, les chevaux et les troupeaux des plaines vivront éternellement, j'en suis sûr, dans ses peintures et ses sculptures. » Bien qu'ayant traité une variété de thèmes, Remington a toujours été fasciné, jusqu'à l'obsession, par la cavalerie américaine. Une fascination qui s'explique par le fait que son père, officier de cavalerie dans l'armée nordiste, était un héros de la guerre de Sécession (1861-1865). L'une de ses actions d'éclat ayant été d'attaquer 800 soldats sudistes, à la tête de 85 cavaliers. Un exploit qui suscite l'admiration du jeune Frederic. Au point que ce dernier représentera systématiquement le visage de son père dans les personnages de ses tableaux.
 
Prédispositions pour le dessin
C'est loin du Far-West, dans une famille de notables de la côte Est, à Canton (Etat de New-York), que naît Frederic Remington, le 4 octobre 1861. Son père, Seth Pierpont Remington, est propriétaire et rédacteur de plusieurs journaux locaux. Il espère faire entrer son fils à West Point. Quant à sa mère, Clara, elle attend aussi beaucoup de ses enfants. Mais, vigoureux et remuant, préférant les sports de plein air, le jeune Frederic déteste l'école. A 14 ans ses parents l'envoient passer une année à l'Institut épiscopal du Vermont, une académie militaire, près de Burlington. S'il apprécie l'uniforme, en revanche, la discipline, les cours et la nourriture - que ce bon mangeur estime mauvaise - le rebutent totalement. Ayant montré très tôt, à l'âge de trois ans, des prédispositions pour le dessin et après quelques cours suivis à l'Institut, en 1876, le jeune Remington produit sa première peinture, « Le Gaulois enchaîné ». L'année suivante, il intègre une autre école préparatoire, l'Académie militaire des Highlands, à Worcester (Massachusetts), où il excelle en gymnastique, tout en continuant à dessiner son sujet favori, les soldats. Ayant hérité de son père un penchant pour l'écriture, le jeune Remington aspire à suivre des cours de journalisme. Apprenant que l'université de Yale propose des cours de littérature, en même temps que de beaux-arts, il s'y inscrit en 1878. Mais, reproduire des plâtres de sculpteurs classiques en atelier ne le passionne guère. Il préfère pratiquer ses sports favoris, le football et la boxe.
Premiers voyages dans l'Ouest
S'il ne pense pas, alors, faire carrière dans les arts, en revanche, Frederic Remington est impatient de découvrir l'Ouest. La mort de son père, en 1881, lui en donne l'occasion. Il prend le train, direction le Dakota d'où il rejoint le Montana. Si elle ne dure que quelques mois, son escapade lui permet d'assister au dernier grand massacre de bisons, suite à l'engouement suscité dans cet Etat par son élevage. Il comprend que l'Ouest sauvage est sur le point de disparaître . « Je compris que le temps des chapeaux melons, des cheminées fumantes avançait à grands pas », racontera-t-il plus tard, « et que les cavaliers sauvages et les terres vierges allaient rapidement disparaître. » Remington observe, enregistre et dessine tout ce qu'il voit. De retour sur la côte Est, ses cartons pleins d'esquisses, il parvient à vendre l'un de ses croquis exécutés au Montana, au journal illustré « Harper's Weekly » de New-York, qui le publie en 1882. Décidé à retourner dans l'Ouest, pour dessiner, mais également travailler dans un ranch, l'artiste, désormais majeur, et ayant hérité de 10 000 dollars, achète un élevage de moutons, au Kansas. Mais, Remington s'avère un piètre éleveur et revend son affaire avec perte. Après avoir fait l'acquisition d'une quincaillerie à Kansas City (Missouri), puis d'un saloon, en1884, il se marie avec Eva Caten, la fille d'un homme d'affaires new-yorkais. Mais, celle-ci, découvrant que l'occupation de son mari consiste à faire du trafic d'alcool clandestin, retourne dans sa famille, sur la côte Est.
Ses débuts d'illustrateur
Durant ses premiers séjours dans l'Ouest, Remington n'a cessé de dessiner. Sur la base des esquisses qu'il a réalisées, il se met à peindre des tableaux. Il en confie quelques exemplaires à une galerie d'art de Kansas City, qui les vend immédiatement. C'est décidé. Puisque les affaires ne lui réussissent pas, il quitte définitivement l'Ouest pour s'installer à New-York. Il s'adresse à la maison d'édition la plus importante, Harper & Brothers. Le public américain d'alors est fasciné par l'Ouest. En particulier, par la traque du chef Apache Geronimo par la cavalerie US. Mais, à l'époque, aucun artiste de la côte Est n'est réellement documenté pour représenter ces Indiens. Or, les dessins que propose Frederic Remington respirent l'authenticité. Au point qu'Harper achete la totalité de ses œuvres. En moins d'un an, l'artiste réussit à s'imposer comme l'illustrateur de l'Ouest.
Profession : reporter
En janvier 1886, la publication illustrée de Remington, « La guerre Apache : éclaireurs indiens à la poursuite de Geronimo », fait la une du Harper's Weekly. Le journal l'envoie comme reporter au Nouveau-Mexique, avec pour mission de recueillir les dernières informations sur les allées et venues de Geronimo. Remington devient, ainsi, peintre et correspondant de guerre. Ce qui le rend populaire auprès des soldats de l'armée américaine, dont il se plaît à saluer le « grand courage physique », tout en considérant les Mexicains comme une « bande de sales types terriblement abrutis. » Mais, notre peintre-reporter comprend rapidement que la capture du chef Apache va prendre du temps. Il s'installe à Tucson (Arizona), où il se lie d'amitié avec le lieutenant Powhatan Clarke, réputé pour sa bravoure et qui s'avère être une source inépuisable d'articles. Au point que Remington le transfigure en personnage de légende, le représentant secourant un cavalier blessé, sous un tir nourri des Indiens. Suite à l'envoi d'une lettre anonyme - en réalité écrite par Remington - demandant à ce que l'officier reçoive la médaille d'honneur du Congrès, le lieutenant Powhatan Clarke devient un héros national et l'auteur du tableau parvient au sommet de sa gloire.
De l'illustration à la peinture
Cependant, sa collaboration avec Harper's ne procure pas assez de travail à Remington, qui cherche d'autres opportunités. Grâce à ses amis de Yale, il parvient à travailler pour St. Nicholas, une revue pour enfants, et Outing, une publication sur la vie à la campagne. Commençant à bien gagner sa vie, Remington déménage avec sa famille, dans les beaux quartiers de Brooklyn. Il expose dans plusieurs galeries et dans la prestigieuse National Academy of Design, aux côtés de peintres américains célèbres. A partir de ce moment-là, Remington envisage une autre carrière que celle d'illustrateur de presse. Ses illustrations continuant de bien se vendre, sa famille emménage à Malborough House, haut lieu de l'élite new-yorkaise. C'est à cette époque qu'on lui demande d'illustrer, « La Conquête de l'Ouest », le livre de Theodore Roosevelt .Une première collaboration avec le futur président des Etats-Unis, qui scelle l'amitié entre les deux hommes. En 1889, à l'Exposition de Paris, l'artiste décroche une médaille pour son tableau « Dernière Accalmie avant le combat ». Quant à sa première grande toile, « Violente Escarmouche », exposée à la National Academy of Design, elle est unanimement saluée par la critique. La même année, les Remington achètent une maison à New Rochelle, au nord-est de Manhattan, sur un terrain d'un hectare et demi. Baptisée « Endion » (l'endroit où je vis, en Algonquin), la propriété possède un atelier où l'artiste peut confortablement travailler.
La question indienne
C'est à cette époque que Frederic Remington commence à collectionner des objets indiens, qui lui servent de modèles, et à utiliser un appareil photo, afin de se rémémorer les scènes qu'il restitue, par la suite, sur la toile. En 1887, Harper's l'envoie dans le Nord-Ouest canadien pour y dessiner des Indiens. Mais, l'un d'entre eux s'offusquant d'être pris en photo, le peintre évite de peu un coup de tomahawk. Au fur à mesure de ses reportages, les liens de Remington avec l'armée se renforçent. En 1890, à l'invitation d'un ami de longue date, le général Miles, il parcourt la Californie, puis le Montana pour y étudier les Cheyennes du Nord. Au lendemain du massacre de Wounded Knee, les autorités fédérales américaines se préoccupent de la manière de traiter la question indienne. Remington est de l'avis de certains militaires d'enrôler de « bons Indiens », au sein de corps de cavalerie dédiés. Tandis que d'autres prônent le contrôle des tribus indiennes par des civils. Le gouvernement ayant opté pour la seconde solution, le peintre est convaincu que la révolte des Indiens, en 1890, a été provoquée par des agents des affaires indiennes, incompétents et corrompus.
L'épreuve du feu
« Pony Tracks », le premier livre de Remington, édité à quatre reprises, connaît un succès retentissant. Il confirme sa réputation de « grand conteur » de l'Ouest. Pourtant, l'artiste a besoin de se lancer de nouveaux défis. Tout en continuant de peindre, il invente et fait breveter un nouveau moyen de transport des munitions, que l'armée finalement rejette. A la recherche de nouvelles sensations, Remington fait l'expérience du combat, en 1898, à Cuba, lors la destruction du bateau de guerre américain « Maine », qui provoque l'entrée en guerre des Etats-Unis contre l'Espagne. Embarqué à bord d'un des navires destinés à envahir Cuba, le peintre subit l'épreuve du feu, lors de l'attaque de la colline San Juan, au cours de laquelle les balles fusent autour de lui. De retour à New-York, il rédige et illustre un article pour le magazine Harper's Monthly, dans lequel il relate la tragédie et l'horreur de la guerre. En 1899, l'éditeur Harper's Brothers connaissant des problèmes financiers et ne lui proposant plus de traiter les sujets qui l'intéressent, Remington le quitte pour le « Collier's Weekly » qui l'envoie à nouveau à Cuba pour un reportage sur l'armée américaine d'occupation.
Un sculpteur réaliste
Entre temps, Remington s'est mis à la sculpture. Une activité qui lui procure un immense plaisir artistique, tout en continuant de lui apporter le succès. Au point de se mettre à brûler certaines de ses plus célèbres illustrations. Même s'il apprécie les chevaux de bronze produits par des sculpteurs russes et polonais, le peintre n'a suivi aucun enseignement en la matière et son attrait pour le réalisme l'oppose à la sculpture académique de l'époque. A la fin du 19e siècle, l'allégorie étant préférée au réalisme, musées et espaces publics américains exposent des statues de généraux de la guerre de Sécession, revêtus de tuniques romaines et entourés de colombes. C'est alors qu'il travaille dans son atelier, cherchant à modifier la place de ses personnages sur la toile, que son ami et dramaturge, Augustus Thomas, constate que Remington ne visualise pas mentalement ses personnages, mais les promène physiquement sur le tableau. « C'est ce qu'on appelle une vision de sculpteur », fait-il remarquer au peintre. Une semaine plus tard, un autre ami de l'artiste, le sculpteur F.W. Ruckstull, lui affirme qu'il est capable de « travailler aussi bien avec de la cire que sur le papier. » La première sculpture de Remington « Le dresseur de cheval sauvage » représente un cow-boy maîtrisant un étalon. Mais, le bronze, qui repose seulement sur les pattes arrières du cheval, pèse trop lourd. Au lieu d'ajouter un traditionnel « pilier grec » pour le faire tenir, Remington renforce l'armature de sa sculpture, produisant ainsi un effet saisissant qui en fait son succès : 45 moulages sont vendus dans les trois ans qui suivent. L'un des exemplaires est offert au chef des célèbres « Rough Riders », le colonel Theodore Roosevelt. Remington exécute un deuxième bronze, « Le cavalier blessé », représentant un soldat à cheval soutenant un compagnon blessé. Mais, en raison de son prix de 500 dollars, élevé pour l'époque, la sculpture n'est fondue qu'à 20 exemplaires. Quand à son troisème bronze, « Le mauvais cheval », il est mal accueilli, car il évoque un accident de cheval dramatique. Au total, Remington produit 22 bronzes, dont le dernier, « La débandade », est finalisé peu de temps avant sa mort.
L'influence des impressionnistes
En 1900, Remington fait l'acquisition d'Ingleneuk, une propriété des Thousand Islands, dans l’État de New-York. L'artiste y réalise un certain nombre de paysages forestiers. Ses peintures de scènes nocturnes deviennent plus impressionnistes et son sens de la couleur s'affine, reflétant des sentiments jusque-là absents de son oeuvre. A cette époque, Remington apprécie les peintres impressionnistes américains, qui exercent un fort impact émotionnel sur le spectateur, en utilisant la couleur et la lumière. En visitant une exposition de peintures nocturnes du Californien Charles Rollo Peters, Remington a une révélation. En 1902, il peint l'une de ses premières scènes de nuit, « L'éclaireur (amis ou ennemis?) ». Puis, en 1903, « Cavalier dans la nuit » et « Coup de feu dans la nuit », qui suscitent l'intérêt des critiques. Désormais, Remington, figure dans le prestigieux « American Art Annual », non plus avec la mention  d'illustrateur ou de sculpteur, mais celle de peintre. Mais, les changements techniques opérés par Remington ne remettent pas en question la nature des thèmes abordés : l'Ouest, ses cow-boys et, surtout, la cavalerie US et ses éternels ennemis, les Indiens.
Une disparition prématurée
A l'automne 1908, Frederic Remington fait sa dernière escapade dans l'Ouest. Une expédition de chasse de trois semaines, dans le Wyoming, dont il revient fatigué et malade. Désormais, pour lui, c'en est fini des voyages. Pourtant, l'année se termine sur une note triomphale, avec une exposition à la galerie Knoedler qui lui vaut des louanges unanimes et lui rapporte une somme de 8 500 dollars. Le peintre commence à faire construire une nouvelle maison à Ridgefield (Connecticut), vend ses propiétés d'Ingleneuk et de New Rochelle et déménage, en mai 1909. Mais, l'artiste souffre de rhumatismes, qui l'empêchent d'assister au vernissage de sa troisème exposition particulière, au cours de laquelle 17 toiles sont vendues. Le 20 décembre 1909, pris de violentes douleurs d'estomac, Remington tente de se soigner avec un puissant purgatif. Lorsqu'un médecin est finalement appelé, il constate que l'appendice du peintre a éclaté, l'opération révélant une inquiétante péritonite. Le 26 décembre 1909, au sommet de sa gloire, Frederic Remington s'éteint prématurément, à l'âge de 48 ans. 

Herve CIRET 

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