En
avril 1831, alors âgé de 25
ans, Alexis de Tocqueville s'embarque pour l'Amérique, en compagnie de son ami,
Gustave de Beaumont, qui se mariera cinq ans plus tard avec la
petite-fille de Lafayette, héros français de
la guerre d'indépendance américaine.
Auditeur-juge,
c'est-à-dire stagiaire non rétribué de la
magistrature, en attente d'un poste stable, Alexis de Tocqueville
est
né dans une famille aristocratique normande dont le père,
emprisonné sous la révolution, a failli être
guillotiné.
Si, après la chute de Napoléon,
le retour de la royauté avec Charles X, puis Louis-Philippe,
contente sa famille, le jeune Alexis lui s'affirme comme
un libéral. Afin d'échapper au serment à la monarchie de Louis-Philippe, Alexis de Tocqueville fait une demande de congé non rétribué, prétextant la rédaction d'un rapport sur les changements dans l'administration pénitentiaire américaine.
Durant
9 mois, Alexis de Tocqueville et son ami Beaumont vont sillonner les
13 états de l'Union férale américaine. A l'époque, ceux-ci sont peuplés de 13 millions d'habitants, le pays couvrant un peu moins de la moitié
de l'Amérique actuelle.
L'esclavage sévit dans les états
du Sud, tandis que les états de la frontière sont encore
peuplés de pionniers en marche vers l'Ouest, afin d'échapper aux salaires trop
bas, aux mauvaises conditions de travail dans les usines et au chômage, sur la côte
Est. L'arrivée à
la présidence des Etats-Unis d'Andrew Jackson, deux ans plus
tôt, a permis de lancer une politique de réformes. Lorsque le jeune français arrive en Amérique,
le pays est donc en pleine mutation. La première ligne de chemin
de fer à vapeur n'y a été inaugurée que
deux ans plus tôt.
Alexis
de Tocqueville et Gustave Beaumont arrivent à New-York, après
38 jours de traversée. Ils découvrent une presse et
une opinion publique très sensibles à la critique
et peu enclins à accepter que des visiteurs étrangers
portent des jugements sur leur société. Ce qui frappe
nos deux voyageurs, c'est la différence qui existe entre
l'Amérique et l'Europe. Notamment, le fait que les Américains
sont des gens très agités et ne laissent jamais passer
une occasion pour vanter leurs mérites. Une manière,
sans doute, d'affirmer leur supériorité sur l'ancienne
société anglaise du Nouveau Monde.
Grâce
aux recherches menées par un professeur américain,
G.W.
Pierson, en 1938, on a pu savoir dans quels lieux les deux français s'étaient rendus, quelles personnes
ils avaient rencontré et quelles furent leurs impressions.
Tout en consacrant une partie de leur temps à enquêter
sur les prisons américaines, Alexis
de Tocqueville et Gustave Beaumont s'intéressent à
tous les aspects de la vie américaine. S'ils sillonnent,
surtout, la Nouvelle Angleterre, ils visitent également l'Ohio,
le Tennessee, la Nouvelle Orléans et Charleston, ainsi que
la région des Grands Lacs et le Canada. A la Maison Blanche,
à Washington, ils rencontrent le Président des Etats-Unis,
Andrew Jackson et des politiciens influents. Mais, ils s'intéressent
également aux hommes et femmes de presque toutes les catégories sociales américaine, y compris des Indiens.
Contrairement à nombre de colons américains de l'époque, Alexis
de Tocqueville reconnaît des qualités aux Indiens, en estimant que ces derniers n'ont
rien du "bon sauvage" décrit par Jean-Jacques Rousseau. S'il les trouve trop paresseux
et trop insouciants pour s'adapter à la société
américaine, c'est en raison de la situation dans laquelle les conquérants
américains les ont placés. Alexis de Tocqueville et Gustave Beaumont s'indignent également
des conditions de vie des esclaves noirs.
Si
Alexis de Tocqueville est allé aux Etats-Unis,
c'est afin d'y découvrir des éléments du mode de vie américain,
qui
permettraient à la France, en les adoptant, de demeurer une
grande puissance, tout en tendant vers l'égalité au
sein de sa population.
Loin d'être un démocrate, notre
jeune français cherche, en Amérique, des moyens de
limiter la tyrannie et les privilèges, selon lui, sources
de troubles sociaux profonds. S'il demeure un adepte de l'économie
libérale, il estime qu'un gouvernement peut faire beaucoup pour son
peuple. A l'image des américains, il est certain que la paix
et la moralité d'une société dépendent
de l'acceptation, par les membres de cette société,
d'une foi religieuse. Il reste convaincu de l'intérêt supérieur
de la monarchie constitutionnelle sur la République.
Après
son retour en France, le 21 mai 1832, Alexis de Tocqueville abandonne
la magistrature, car, écrit-il, "Cette
carrière risque de me mettre dans l'alternative de parler
contre ma conscience ou d'être sanctionné."
Il consacre, alors, tout son temps, à rédiger les
résultats de son enquête aux Etats-Unis qui constituent
la première partie de son livre "De la démocratie
en Amérique" (photo ci-contre). Celui-ci paraît
en 1835. C'est un succès immédiat et considérable,
non seulement en France, mais également dans le monde entier.
Elu député en 1839, il publie la seconde partie de
son livre, l'année suivante, en même temps qu'un remarquable
rapport sur l'abolition de l'esclavage. En 1851, il s'oppose au
coup d'état de Louis-Napoléon Bonaparte. D'où
son retrait de la vie politique active. Dans les dernières
années qui lui restent à vivre, il écrit plusieurs ouvrages, dont "L'ancien
régime et la révolution" et ses "Souvenirs".
Les idées de "De la démocratie en Amérique"
y reviennent sans cesse. Notamment, la nécessité de
lutter contre la centralisation
administrative, contre la tutelle, les moeurs administratives et la domination du fonctionnaire sur le citoyen. Alexis de
Tocqueville décède prématurément en
1859, à l'âge de 54 ans.
Herve CIRET
Informations
extraites de l'introduction par Harold J. Laski du Tome 1 "De
la démocratie en Amérique" d'Alexis de Tocqueville
édité chez Gallimard en 1951 et de la préface
d'André Ferrat de "De la démocratie en Amérique,
pages choisies" édité par Nouveaux Horizons en
1967.
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