Charles Gleyre par Sébastien Cornu |
Le peintre Charles Gleyre et l'amateur d'art John
Lowell Junior n'ont jamais connu les vastes étendues de l'Ouest
américain. Leur Far-West à eux, ce fut l'Egypte. Un
territoire qu'ils ont parcouru, au début du 19e siècle, sur 1 500 kilomètres, en suivant les
rives du Nil. Le musée d'Orsay à Paris relate certains épisodes de ce périple, à travers une exposition consacrée à Charles Gleyre. Ce peintre d'origine suisse et son compagnon américain, issu d'une célèbre famille de
Boston, ont vécu une aventure peu commune, à une époque où la conquête de l'Ouest n'est pas encore achevée.
Nous
sommes en 1834. Souhaitant se rendre en Orient avec un artiste
capable de reproduire les sites archéologiques visités et les
populations rencontrées, John Lowell Junior sollicite les services du jeune
peintre helvète, alors en Italie. Depuis le
18e siècle, il est courant que des amateurs d'art fortunés et des
artistes sans le sou s'associent. Les premiers prennent en charge
les dépenses du voyage et l'achat des fournitures. En contre
partie, les seconds leur cèdent la majeure partie de leur
production.
John Lowell par Gleyre |
Grâce
au journal minutieux tenu par John Lowell Junior et à celui, plus
épisodique, de Charles Gleyre, les historiens ont reconstitué les
conditions du périple des deux globe-trotters. A la fin
de l'année 1834, depuis Rome, via la
Grèce et la Turquie, les deux hommes rejoignent l'Egypte. C'est là que le peintre réalise le portrait de
son compagnon américain en tenue orientale (ci-contre). Débute aussitôt une
exploration des rives du Nil, jusqu'au Soudan, qui va durer neuf
mois.
Sur un bateau prêté par le consul américain Gliddon, les
deux hommes gagnent le Caire, avant de parvenir au pied des
pyramides au début de l'année 1835. John Lowell Junior les escalade,
les explore, les mesure. Deux mois plus tard, les deux voyageurs
parviennent à Louxor et Karnak. Le peintre est émerveillé par la
démesure de l'architecture pharaonique, par le chaos des ruines et
la beauté de la lumière qui les éclaire.
Aquarelle de Charles Gleyre |
Mais,
la santé de John Lowell Junior commence à se dégrader. Ce qui
n'empêche pas ce dernier de continuer à prendre des notes sur la
vie locale. Il en profite même pour acheter un bloc de granit
provenant d'un sanctuaire d'une barque sacrée, datant du 3e
siècle avant Jésus-Christ. Une pièce qui constituera la base des
collections égyptologiques du musée de Boston, sa ville natale.
Après un périple harassant à cheval et à dos de chameau, dans le
désert, au coeur d'une chaleur étouffante, les deux voyageurs
arrivent à Abou Simbel, où Charles Gleyre croque des dessins au
crayon, parmi les plus anciens reproduisant ce site, aujourd'hui noyé
par les eaux du barrage d'Assouan.
Djebel Karbal au Soudan |
En
juillet 1835, la dernière étape de leur voyage les mène au Soudan.
Une contrée pratiquement inexplorée à cette époque, excepté par
le pionnier de l'égyptologie, Jean-François Champollion, l'un des
rares à s'y être aventuré. Mais, des dissensions apparaissent
entre les deux voyageurs. Le peintre suisse veut rentrer au Caire. Le
fortuné américain, lui, veut poursuivre vers l'Inde, puis la Chine,
terme de son périple. Lorsqu'ils arrivent à Khartoum, en novembre
1835, après un an et demi de route commune, les deux hommes se
séparent en mauvais termes. A peine parvenu à Bombay, en mars 1836,
John Lowell Junior, épuisé, décède à 37 ans, avant d'avoir atteint
la destination finale de son voyage.
Désargenté, victime d'une infection oculaire, Charles
Gleyre met plus de deux ans à rejoindre la France, via le Liban et
l'Italie. Durant les deux années qui suivent son retour, l'artiste
est empêché par la famille Lowell d'accéder aux aquarelles
réalisées en Egypte pour en faire des copies. Même si l'intensité
du périple exceptionnel, accompli avec son compagnon américain,
représente l'aventure de sa vie, Charles Gleyre n'est pas reconnu
comme le peintre orientaliste qu'il aurait pu devenir. Une expérience
pourtant hors du commun, qui distingue l'artiste suisse des autres
peintres du milieu du 19e siècle, dont les plus courageux ne se sont
pas aventurés, à l'époque, au-delà de la Turquie ou du Maghreb.
Exposition "Charles Gleyre, le romantique repenti" - Musée d'Orsay à Paris - Jusqu'au 11 septembre 2016
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