Dans un récit, entre documentaire et fiction, Eric
Vuillard s'est intéressé au personnage de William Frédéric Cody, alias
"Buffalo Bill" et à son spectacle du "Wild West Show"
qui mettait en scène la conquête de l'Ouest. Un essai décapant sur ce personnage
très controversé, inventeur de la reconstitution historique à grande échelle.
Pourquoi ce
titre, "Tristesse de la terre" pour intituler un livre parlant de
Buffalo Bill ?
"Tristesse" est un tout petit mot, délicat, assez doux. Et "Terre" est un mot immense. Donc, le fait que les deux puissent d'accoler me touchait et cela décrivait bien la tonalité du livre.
Vous écrivez
que tout ce qui touche à Buffalo Bill se change en carton-pâte et que c'en est
désarmant, pourquoi ?
Buffalo Bill a tout d’abord été éclaireur, il a également travaillé pour le
Pony Express, c’est donc bel et bien un homme de l'Ouest, un aventurier de la
Frontière. Mais, plus tard, il fit le récit des moments intrépides de son
existence à Ned Buntline, un auteur de romans de quatre sous, qui dut
agrémenter de toutes sortes de fadaises ce que Buffalo Bill lui avait raconté.
Par la suite, une pièce à succès, inspirée des romans de Buntline, fut jouée à
Broadway ; et le personnage de Buffalo Bill devint célèbre. Il partit alors
pour New-York afin de reprendre son propre rôle. On a rarement vu pareille
histoire ; Buffalo Bill s'est comme glissé dans sa propre peau, mais ce
n'était déjà plus la sienne. Son personnage lui avait peu à peu échappé.
Pourquoi vous
êtes-vous intéressé à Buffalo Bill, la conquête de l'Ouest et les indiens ?
Il y a longtemps, j'ai eu le projet d'écrire une histoire des Etats-Unis, une
histoire fragmentaire. Je ne suis pas allé au bout. Mais, tandis que je faisais
toutes sortes de recherches pour ce livre, je croisais souvent Buffalo Bill.
Par exemple, lorsque je m'intéressais à Théodore Roosevelt, j’apprenais qu’ils
avaient été amis, lorsque je m’intéressais au chemin de fer, il était là de
nouveau ; il revenait dans la vie de bien des gens de l'Ouest. On aurait
dit que tous avaient, un jour ou l’autre, travaillé pour le Wild West Show, son spectacle itinérant.
Si bien qu’un nouveau récit a cristallisé autour de ce personnage.
Selon vous, Buffalo Bill
serait l'inventeur du "happy end" des histoires ?
L'une des formes rhétorique les plus usuelles des films américains, c'est
le "happy end". Et cette formule a une dette envers le Wild West Show. L’un de ses épisodes
célèbres fut une mise en scène de la bataille de Little Big Horn. Buffalo Bill
au fur et à mesure des représentations, en modifia l’histoire. Les spectateurs
n’aimaient pas la fin, car les américains perdent la bataille ; il fallait
trouver autre chose. Buffalo Bill a donc inventé un "happy end"
où lui-même sauvait le général Custer. Il mit en scène cette bataille peu de
temps après les évènements, c’était pour ainsi dire de l'actualité, pas au même
titre que notre journal télévisé, mais c’était, disons, une forme approchante
A cette époque,
dans l'Ouest, on préférait la légende à la réalité ?
L'Amérique est un pays jeune, son rapport à la légende n'est donc pas le même
que le nôtre. C'est quelque chose de plus brûlant. Dans L'Homme qui tua
Liberty Valence, on
entend une première critique du mythe, mais une critique pleine d’empathie,
conciliante. En revanche La porte du paradis de Michael Cimino, qui évoque le massacre de colons venus
d’Europe de l’Est par des américains, et où l'un des personnages dit : il
n'a jamais fait bon être pauvre dans ce pays, est une charge plus
puissante.
Êtes-vous vous-même un amateur de westerns ?
Oui, de ceux de
Ford, de Hawks, et de bien d’autres. Mais, je n'aime pas le western pour
le western, je me fiche des genres.
Le rapport au monde change sans cesse et le nom de
« récit », et non pas de « roman », que je donne à mes
textes, est le nom d’une sorte de crise. Cela fait longtemps, il me semble, que
le nom propre d’un personnage, comme Gavroche ou Rastignac, ne s'est plus
inscrit dans la mémoire collective ; je pense que cela correspond à une
démonétisation des noms propres et de l’imaginaire. Ce n'est pas pour rien que
depuis une bonne vingtaine d'années des auteurs sont attirés par l'Histoire.
Les noms de l'Histoire sont encore auréolés de quelque chose. Or, un des rôles
de la littérature consiste à nous dégriser de la fable, à égratigner l'auréole.
Alors, évidemment, il y a un double jeu de l’écriture. On est attiré, en tant
qu'écrivain, par le mythe, et l’on désire en même temps le défaire. C’est comme
un arbre de Noël qu’on voudrait secouer pour faire tomber les guirlandes.
Vous faites allusion au poète-manadier camarguais, Folco de Baroncelli, qui a créé les traditions gardiannes...
« Quand le folklore est là, c'est
que la tradition est morte », écrivait Marcel Mauss. Avec Buffalo
Bill, la tradition se fait spectacle. C'était amusant de raconter comment dans
un des lieux où une tradition persiste, la Camargue, cette tradition vient, en
partie, du spectacle de Buffalo Bill dont elle s'est inspirée. Tout comme
les bisons du parc de Yellowstone, aux Etats-Unis, ne sont pas les descendants
de bisons sauvages, mais de bisons ayant
joué pour le Wild West show.
Photo et
propos recueillis par Herve CIRET lors du Festival America 2014
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